2020 L'ODYSSEE DU COVID 19
Cela pourrait paraître bien prétentieux pour un Calédonien de raconter qu'il a passé 3 mois à bord de son navire dans l'Etat de Washington, quand toute la population ou presque, est restée clouée sur son Île attendant avec anxiété que ce mauvais rêve s'estompe enfin!
2020, année du Covid et à l'heure où j'écris ces lignes personne ne peut prédire ce qu'il va advenir.
Par contre notre petit Pays a su gérer de manière remarquable ce fléau en prenant les mesures les plus strictes très tôt.
Il faut avouer qu'une île est plus facile à isoler qu'un pays comme la France au milieu d'un continent surpeuplé où la circulation est intense. Mais, quand même, d'autres îles ont moins bien réagi comme par exemple la Polynésie Française.
Nous sommes, nous, plutôt dans le camp de la Nouvelle Zélande.
Ceci explique que s'il est toujours possible de quitter le Caillou en avion le retour n'est pas garanti et de toute façon il se fera au prix d'un isolement absolu en quarantaine dans un hôtel pendant 14 jours.
Autant dire que ça refroidit sérieusement les voyageurs.
Quant aux Européens ce n'est même pas la peine qu'ils songent un instant à venir en Amérique: la frontière est hermétiquement fermée!
Résultat des courses: j'aurai passé 3 mois seul à bord de Jade sans voir arriver le moindre ami ou parent pour m'accompagner.
Autre mauvaise nouvelle : pas moyen de monter vers l'Alaska, la frontière canadienne est fermée.
Pour être honnête on peut malgré tout passer à condition de traverser la Colombie Britannique par le chemin le plus court sans s'arrêter, sauf cas de force majeure et bien sûr sans aborder qui que se soit en cours de route.
Quittant Nouméa aux environs du 13 juillet j'avais pris la précaution de passer plusieurs tests PCR Covid pour parer à toute éventualité.
Cela ne m'aura servi à rien, on ne m'a rien demandé!
Escale déprimante à Narita, aéroport gigantesque absolument désert, et au contraire immersion dans une Amérique bourdonnante à Dallas (Texas). Au passage j'avais survolé Seattle, ma destination finale, à 10000m d'altitude, mais il m'aura fallu 4 heures de vol supplémentaires pour Dallas et autant pour revenir sur mes pas. Le Covid complique décidément tout.
Narita, tristesse, ennui. L'aéroport international au centre d'une conurbation de 40 millions d'habitants, vide!
Emerveillement de contempler le monstrueux volcan couvert de glace, ce Mont Rainier qui domine toute la région de Seattle, mordoré au coucher de soleil et pas un seul nuage à l'horizon.
Un saut de puce avec Kenmore Aviation et me voilà enfin à Friday Harbor où m'attend Jade.
Mark est à l'aéroport et m'embarque dans son gros pick-up. Il a tout prévu et m'emmène directement ....au supermarket conscient que j'allais avoir besoin d'un sérieux ravitaillement pour les jours à venir.
Et puis nous voilà enfin à bord, je retrouve Jade dans le même état qu'à mon départ: comme neuf!
Survol de l'archipel des San Juan (WA) . Mark m'attend à Friday Harbor. Jade sur son luxueux ponton.
J'avais en réalité laissé Jade pour l'hiver dans la très luxueuse marina de Roche Harbor, Île de San Juan, dans cet archipel béni des Dieux situé entre la pointe sud de l'Île de Vancouver et le continent, à quelques encablures au sud de la frontière canadienne.
Le tarif d'hiver, extrêmement avantageux, s'étale du 1er Octobre au 1er Mai.
Avec le Covid il m'était strictement impossible de ralier les USA pour cette date.
L'adorable Katie, fille du Harbor Master et elle-même en charge de la marina m'avertit par mail et me prolonge d'un mois sans supplément. Je fais des pieds et des mains pour partir mais rien n'y fait et elle me propose un nouveau sursis jusqu'au 20 juin date de mon anniversaire, quelle délicatesse !!
Roche Harbor Marina. C'est un resort luxueux avec son hôtel historique, ses condominiums, son aéroport privé, son "chateau" et bien sûr sa marina.
Roche Harbor c'est comme un village de rêve. Les cloches de la chapelle égrènnent les heures. Jade est bien entourée!!
Depuis Nouméa je cherche tous les moyens possibles pour trouver une autre marina mais au Canada c'est sans espoir car la frontière est étanche et sur place je ne sais guère où m'adresser.
La Société (Phill Brooks) qui surveille mon bateau, refuse de le déplacer au mouillage devant la marina. Je sais que les fonds y sont de très bonne tenue et l'abri parfait, ceci en attendant de pouvoir trouver un vol.
Katie me dit qu'au delà du 20 juin le tarif grimpe vertigineusement : au moins 210 dollars par jour!
Impossible d'assumer une telle charge et voilà mon sauveur qui se manifeste: Mark Matthews, notre copain douanier, qui l'an dernier, sans que je sache réellement pourquoi, nous a rendu service à plusieurs reprises. Spontanément.
A présent j'en connais la raison: il est fou de Jade!!! Sa femme Cari, ferait bien de se méfier.
Le voilà qui, avec un de ses bons copains, patron du gros ferry local, prend les commandes de Jade et contourne la pointe nord de l'île pour entrer dans le port très abrité de Friday Harbor à une quinzaine de milles au Sud. Il prend même la peine pendant ce convoyage de m'envoyer depuis son téléphone des photos du radar et de la carte électronique!!!
Le mystère, encore entier, c'est de savoir comment il a pu obtenir de placer Jade sur le ponton le plus beau et le plus sûr de toute la région: imaginez une grande propriété boisée, une pelouse parfaitement tondue, quelques sièges Adirondak d'un beau rouge vif, une longue passerelle métallique menant à un ponton flottant à deux branches en H permettant l'accostage de 4 yachts de plus de 40m!
Seule l'annexe du propriétaire est là, un dayboat rapide d'une bonne trentaine de pieds!!
Après enquête j'ai su qu'il s'agissait d'un milliardaire Washingtonien, collaborateur et ami de Bill Gates. Je ne l'ai jamais rencontré et il ne m'a jamais demandé un cent pour le temps passé sur sa propriété. Vous avez dit chanceux???!!!
Vive l'amitié et vive l'Amérique, quel qu'en soit le Président!!!
FRIDAY HARBOR
Me voilà donc installé à bord , dans Shipyard Cove (Friday Harbor) sous les yeux de mon ami dont la maison me domine.
Sa femme est urgentiste à l'hôpital et ils ont 4 enfants entre 11 et 6 ans.
Je verrai par la suite que ce n'est pas facile à gérer du tout. Une urgentiste aux USA c'est 24h non stop un jour sur deux ...
Quant à lui, il m'a bien fait rire car, tout douanier qu'il est en poste soit à l'aéroport soit sur les ports de Friday et Roche Harbor, il n'a en réalité strictement rien à faire puisque la frontière avec le Canada est fermée étanche: pas d'avions étrangers, aucun bateau à visiter, pas de ferry venant de Sidney ou de Vancouver!! Rien de rien, de la présence, point!!
Du coup, dès qu'il est libre, c'est lui qui gère la maison et ses petits, car pas d'école aux USA contrairement à la France durant l'épidémie.
A mon départ mi-octobre la rentrée scolaire n'était toujours pas faite!!
On peut critiquer les américains mais je les ai vus respecter scrupuleusement les gestes barrière et je me suis fait gentiment mais fermement mettre "au coin" chez le shipchandler pour oubli de masque!!!
LONG SEJOUR A FRIDAY HARBOR
Je n'avais qu'un souvenir fugace de Friday Harbor où un taxi nous avait amenés Claude et moi pour y effectuer quelques courses l'année dernière depuis la Marina de Roche Harbor.
Si Roche Harbor est un faux "village", en fait un luxueux Resort resemblant à un petit hameau, Friday au contraire est une capitale minuscule de 2500 âmes mais qui manifestement est le centre administratif des îles San Juan qui comptent 16000 habitants.
Ces îles sont très équipées car elles sont un lieu de villégiature recherché par de riches habitants de Seattle. L'avion ou le float plane met à peine 40' pour vous déposer à l'aéroport ou tout simplement dans la baie au milieu des bateaux au mouillage.
Les ferries qui desservent ces îles sans arrêt font le trajet avec Anacortes en une heure. Si bien qu'un flot permanent de touristes venus du Continent débarque en voiture du ferry du matin au soir. J'ai cru entendre le chiffre de 1 million de touristes par an à Friday Harbor. Mais cette année pas de trafic avec le Canada tout proche, le touriste est américain!!
Il faut dire que la ville est charmante et l'île pleine de ressources .
Dès mon arrivée à bord je m'atelle à remettre tout en route comme d'habitude et ce n'est pas une mince affaire quand on est seul sur un tel navire. J'ai dû jurer cent fois, me maudire, accuser le dos, les mains, l'épaule, mais au bout du compte Jade est prête et son propriétaire aussi.
Le hic là-dedans c'est que je n'ai jamais encore osé partir seul en croisière sur un tel monstre!! J'ai eu beau chercher autour de moi personne pour m'accompagner pendant plusieurs semaines. L'Europe et la Calédonie il me faut oublier, le Canada aussi, seul un équipier américain aurait pu m'accompagner en Alaska qui était mon but initial.
C'était à deux doigts de se faire mais la copine de l'équipier américain était mexicaine en attente de sa Green Card: impossible de quitter une seule minute le sol américain même pour un court transit par le Canada.
Son copain me dit: " on a qu'à la planquer dans une cale...." C'est ça, déjà qu'ils sont bien gentils de me laisser tranquille à cause du Covid, pas question de faire le moindre écart.
Adieu l'Alaska!
Il a bien fallu me rendre à l'évidence que cette année n'était pas une année normale et donc qu'au mieux il me fallait naviguer seul dans la région.
Hé bien croyez moi si vous le voulez bien, je me suis littéralement régalé.
Pas au début car j'en ai bavé pour remettre tout en route et aussi pour psychologiquement me décider à partir seul.
J'avais surtout peur des ports: comment accoster un engin pareil avec du vent, du courant et peut-être personne pour récupérer mes aussières. J'ai appris par la suite qu'il existe des télécommandes qui agissent sur les propulseurs à distance: ainsi on peut sauter sur le ponton avec l'aussière et ramener en permanence le bateau contre le quai. Imaginez la situation inverse : je saute et le bateau s'en va poussé par le vent!!!
J'en ai des sueurs froides.
Et puis on peut faire un faux pas et se retrouver à l'eau (12°C).
Exclu, je décide donc de mouiller tous les soirs quelque part et d'aller à terre en annexe.
Premiers jours à Shipyard Cove . Le vieux chantier naval occupe le fond de la baie. Le Mount Baker domine la région de Anacortes et Bellingham au loin.
Le bon gout est de retour: partout des merveilles de vieux gréements restaurés et entretenus avec amour.
Quand deux Selene 66 se retrouvent au mouillage de Friday Harbor dans le vrombissement incessant des hélices des float planes. Pas idiot ce volumineux taquet en guise de banc public!
JE ME JETTE A L'EAU (FACON DE PARLER)
Je vais être honnête avec vous: ma première grande traversée en solitaire à bord d'un trawler de 22 mètres et 70 tonnes m'a amené sans coup férir de Shipman Cove à Parks Bay.
Soit une distance totale, compte tenu de l'évitement du haut fond central, de 2.84 milles!
Ouff! Quel exploit! Il faut dire que le temps est radieux, pas une ride sur l'eau, une baie profonde et bien abritée, un fond d'excellente tenue ...que demande le peuple?
Tout s'est très bien passé et je passe ma première nuit dans un mouillage sauvage, loin de la foule estivale.
Mine de rien ce tout petit galop d'essai m'enhardit car il comporte l'ensemble des maneuvres que j'aurai à accomplir quasi journellement pendant les 2 mois à venir: navigation dans des canaux encombrés par un trafic soutenu ("règles de barre et de route" pour les marins), courants de marée souvent forts (5 nds), mouillage avec calcul très précis de l'évitage : je mouille toujours long pour être tranquille mais il me faut rajouter les 22 mètres de la coque (+45 m sur le cercle d'évitage) .
Par chance on n'est pas aux Antilles, les mouillages sont spatieux et les bateaux moins nombreux (j'allais dire plus polis aussi!), encore que du fait de la frontière canadienne fermée et de la beauté des îles San Juan tout ce que Seattle compte de yachts de toutes sortes se précipite ici. Renseignements pris : 200000 navires de plaisance sont enregistrés dans l'Etat de Washington sans compter tous ceux qui arrivent de l'Oregon et de la Californie .
Pour la première fois depuis Auckland (2015) j'envoie le parasol. Mes compagnons de mouillages, Parks Bay.
COURTE ESCALE A ROCHE HARBOR
Ma deuxième escale sera pour Roche Harbor où je dois remettre son cadeau à Katie la fille du Harbor Master qui a été si généreuse.
J'apprends d'ailleurs que c'est une société privée qui appartient à son père qui gère la belle marina de Roche Harbor et que les facilités qui m'ont été gracieusement offertes sont quand même un manque à gagner pour sa famille.
Dominique a choisi pour elle un fin collier de perles noires.
Je pense qu'elle était loin de s'attendre à un tel cadeau, mais j'étais certain de taper dans le mille car elle est très coquette et soucieuse de son look.
Emotion et embrassades, au diable les masques et la distanciation sociale!!!
Je retrouve mes amis de l'an passé. Tout le staff vient me saluer, Troy et son chien en tête!
A l'heure pile les cloches de la petite chapelle qui domine la marina marquent l'heure et comme il est midi nous avons droit au carillon.
C'est fou comme un son, une odeur vous transportent à l'instant des années en arrière et à l'autre bout du monde. Ce carillon c'est mon enfance dans les Pyrénées, l'Eglise du village d'Aspet. Un de mes amis d'enfance, excellent pianiste, s'y essayait avec bonheur et nous montions dans le clocher le voir tirer sur les ficelles et appuyer de toutes ses forces sur les pédales de vieux bois.
"Rentrez au bercail, chevrettes...." c'est ce qu'il jouait le mieux!!
L'an dernier j'avais été bouleversé en entendant ce son cristallin la première fois et je me suis dit : ce coin a quelque chose de magique! J'étais transporté en plein village de mon enfance!
Ceci dit mon escale à Roche Harbor sera courte car nous sommes en plein été et c'est une foule incroyable de toutes sortes de yachts qui rapplique, dont quelques monstres. Je n'avais pas imaginé le mouillage encombré à ce point et la marina pleine à déborder. Au prix du pied pour la nuit c'est le Jack Pot pour Katie et sa famille, mais moi je fuis pour un mouillage plus calme.
PASSAGE ECLAIR A ORCAS ISLAND
Tournant le dos à la foule je fais une courte escale à Parks Bay sur ma route et m'engage dans un nouveau dédale de chenaux et de passes agitéees de courants violents.
Je fais un stop pour la nuit à Deer Harbor pensant trouver une épicerie pour me ravitailler car je vis un peu au jour le jour et n'ai pas encore trouvé le temps de pêcher.
Mais il n'y a rien sur la marina si ce n'est à nouveau un endroit charmant, traditionnel, avec ses vieux gréements et des fleurs partout.
Navires de toutes sortes, vieux gréements et le plaisir de rencontrer ce très beau Bénéteau 60'construit par CNB à Bordeaux
Je poursuis ma route entre Orcas et Lopez Islands avec l'idée de mouiller dans Hidden Cove qui me parait LE mouillage idéal: fermé de tous côtés, 10m de fond, beaucoup de place pour éviter... J'en suis pour mes frais car il y a peut-être 150 bateaux dans ce coin!!!
Je fais un demi tour sur place et après avoir consulté mon guide je réalise que juste en face, au pied du Orcas Ferry Terminal, il y a une "grocery".. C'est exactement ce que je cherchais depuis deux jours.
Pour ceux qui passeront par là, ça vaut franchement le détour. Et je m'y arrêterai d'ailleurs au retour. C'est pas compliqué: on y trouve tout et de la meilleure qualité. Du coup le moral remonte de plusieurs crans et je trouve à quelques milles le mouillage idéal pour moi tout seul.
D'ailleurs je ne sais plus qui au hasard d'une rencontre m'avait confié: "tu sais l'été tout le monde se précipite sur l'archipel des San Juan et il n'y a plus personne dans le Puget Sound, au sud du détroit de Juan De Fuca".
Il fait un temps splendide, pas de vent, mer lisse, c'est décidé je traverse rapidement le détroit et ses forts courants, son trafic intense et me retrouve à Port Townsend.
DE PORT TOWNSEND A GIG HARBOR
C'est à Port Townsend que commence vraiment le Puget Sound, cet immense entrelac de fjords innombrables, satellite de la riche et opulente ville de Seattle, capitale économique de l'Etat de Washington .
La capitale administrative se trouve tout à fait au sud au fond d'un profond bras de mer, la belle Olympia.
Il n'est donc pas étonnant de retrouver un peu partout de ravissantes résidences secondaires dont le style n'est pas sans rappeler celui de la Nouvelle Angleterre de l'autre côté du continent, sur la côte Est de l'Amérique.
Partout les ferries et un important réseau routier mettent Seattle à une heure ou deux de n'importe quel point du Puget Sound. Les habitants du coin sont très privilégiés et d'ailleurs tous ceux que j'ai rencontrés en sont bien conscients.
Je m'arrêterai à Port Townsend, qui vaut le détour, à mon retour.
Un coup de vent de Sud Est est annoncé et je préfère prolonger vers Port Gamble ou un peu plus loin à Port Ludlow en empruntant un court canal semi naturel et sans danger au sud de Port Townsend (Port Townsend Channel).
Port Ludlow: encore un abri parfait où je fais ma première pêche au crabe tout aussi miraculeuse que les dizaines qui suivront!!
J'avais acheté à Friday Harbor chez le shipchandler deux têtes de saumon frais congelées. Une seule suffit pour ramener plusieurs dizaines de Dungeness crabs et quelques Red Rock crabs.
La Loi est très stricte aux USA , ici comme en Alaska on contrôle parfaitement la ressource. Déjà on commence par acheter un permis de pêche pour l'année (quasiment le même prix que pour 10 jours). Il est obligatoire de le porter toujours sur soi quand on pêche.
Pas plus de 5 Dungeness crabs de 6"1/4 ( environ 16 cm de largeur) et uniquement des mâles. Ca limite beaucoup , mais malgré cela on se retrouve toujours avec un minimum de 5 crabes à chaque fois.
J'ai compris pourquoi le Dungeness crab était le plus recherché: tout simplement parceque sa carapace est relativement fragile et donc très facile à casser sans avoir recours à un instrument quelconque. Sa chair est succulente. En fin de séjour je suis certain que je transpirais le crabe!!
Je n'ai pas pris de photos de port Ludlow pour deux raisons: il fait mauvais exceptionnellement, et puis c'est un peu désolant de voir ces alignement de maisons, un peu toutes sur le même modèle, qui dominent le mouillage au détriment de la belle forêt qui a aujourd'hui quasiment disparue: c'est très résidentiel, certainement très recherché mais ce n'est pas ma "cup of tea"! D'ailleurs il n'y a pas la moindre épicerie aux alentours ce qui montre bien que tout cela est un peu artificiel, ce n'est certainement pas un vieux "settlement".
Le mauvais temps passé j'embouque le grand fjord qui mène à Seattle et plus au sud vers Tacoma et Olympia.
Je tente un mouillage dans Eagle Harbor, mais c'est très encombré et je me décide pour Port Blakely quelques milles au sud.
Il faut dire que Eagle Harbor se situe exactement en face de Seattle à tout juste 5 milles .
C'est une noria de ferries qui font le trajet en 20'.
Seattle est une grosse agglomération de 4 millions d'habitants capitale mondiale de l'informatique (Microsoft) et de l'aéronautique (Boeing) et plus récemment de la vente en ligne (Amazon). Les deux premières fortunes mondiales y vivent .
Pour plus de renseignements sur Seattle se reporter à l'article : "Cap sur Seattle la capitale du Nord Ouest Américain" que j'avais rédigé l'an dernier.
La vue sur la ville dominée par l'énorme volcan, le Mount Rainier, est époustouflante.
4 toutous de retour de leur promenade digestive rentrent en annexe à bord de leur modeste voilier. Les Américains ont le culte du chien, on ne va pas les en blâmer!
GIG HARBOR
Je me dirige alors vers Gig Harbor.
Vous êtes pardonné si le nom ne vous dit rien. Moi je l'avais entendu très peu de temps auparavant lorsque Mark Tilden m'avait contacté après m'avoir aperçu au mouillage de Parks Bay.
Il me connait depuis longtemps car, propriétaire lui-même d'un Selene 60' et animateur du site Seleneowners.com, il avait en réalité navigué longtemps à bord de Mystic Moon skippé par John Youngblood. Ce dernier avait fait un an après nous le même trajet depuis le Japon : ça crée des liens et John m'a toujours été reconnaissant des nombreux tuyaux que j'avais pu lui donner quand il me sollicitait.
Mark Tilden habite Gig Harbor....J'allais donc lui rendre une petite visite pour voir un peu comment vit un Washingtonien.
Quittant Port Blakely je navigue longtemps dans un long fjord étroit.
A son débouché la vue se dégage et à ma gauche c'est une vraie splendeur: le mont Rainier couvert de glace domine le grand port industriel de Tacoma. Moi qui ai toujours rêvé d'aller un jour à Tacoma .
Comme dit la chanson de marins " on s'repos'ra quand on arriv'ra dans le Port de Tacoma"!
A ma droite devrait se trouver Gig Harbor, mais il me faut longer la côte vers le sud un bon moment pour enfin apercevoir une entrée extêmement étroite marquée par un Phare au bout d'une langue de sable. Je comprends que ce mouillage extraordinaire ait été ignoré pendant des siècles: c'est un peu le Marigot Bay du coin.
Le mot Gig désigne en réalité une embarcation légère à rames qui a permis à l'origine de découvrir et d'explorer cette baie en tous points admirable.
Le Mont Rainier (4400m) semble flotter dans l'air du soir. Un peu plus loin on distingue le port industriel de Tacoma.
Entrée dans Gig Harbor. Koinonia , le Selene 60' de Mark Tilden devant chez lui. Gig Harbor prend parfois des airs de Venise!
Gig Harbor, tradition et modernité. Le tender traditionnel retour d'Alaska après sa saison de pêche au saumon.
J'ai à peine eu le temps de mouiller que Mark arrive sur son annexe. Son bateau Koinonia est tout près, accosté au ponton privé au pied de sa maison.
C'est le début d'une amitié sincère qui se poursuivra certainement longtemps. Mark est un informaticien de haut vol, qui a fait une petite fortune en vendant à Boeing un logiciel de réservation de places sur les avions toujours en vigueur aujourd'hui. Autrement dit, il en connait un bout en matière d'informatique embarquée, d'électronique et d'une manière générale de tout ce qui peut équiper un navire de plaisance à moteur. Un vrai Mc Giver très sollicité par nombre de marins de par le monde. Il me présente ses plus proches amis en particulier son voisin, Matt, un urgentiste militaire en retraite et sa femme Kirin, elle même urgentiste.
Sa femme RoseAnne me propose de me faire visiter les environs et de m'amener aux gigantesques supermarchés du coin.
Et puis il y a aussi Joel et Meme et leur adorable Lola. Lui était "nurse" dans l'armée, ça fait drôle d'entendre ce mot appliqué à un homme quand on est français!
Avec cette équipe je vais passer des moments délicieux .
D'emblée Matt nous propose une excursion au Mont Rainier.
J'en rêvais depuis longtemps, mais j'ai quand même peur car préoccupé en permanence par mon rachis lombaire et cette montagne est monstrueuse.
L'approche se fait en voiture par une route de montagne magnifique jusqu'à un complexe hôtelier au centre d'une station de sports d'hiver.
Le but c'est d'accéder à une croupe au flanc du volcan à 2500 m d'altitude.
Mes deux amis, sans être entrainés à la montagne, font toutefois tous les jours un jogging d'une bonne dizaine de kilomètres autour de la baie de Gig Harbor.
Dès les premiers mètres j'ai cru ma dernière heure arrivée: sans aucun entrainement la pente est si raide que je me pose sérieusement la question de stopper là. Heureusement que je suis têtu et puis l'orgueil devant ces deux américains à peine plus jeunes que moi, je vaincs la fatigue et la douleur et en termine avec cette première portion, en réalité de loin la plus dure. Par la suite ça s'arrange, pas le chemin lui-même assez escarpé, mais la pente qui s'adoucit .
Nous traversons des névés et puis arrivons à notre destination: une vue panoramique sur le Mont Rainier lui-même mais aussi les autres volcans du coins: Mount Baker, Jefferson, Adams et surtout Saint Helens de sinistre mémoire dont tout le sommet s'est volatilisé dans cette fameuse éruption de 1980 tuant 57 personnes. C'est la chaîne des "Cascades" qui s'étend de la Californie à la Colombie Britannique en passant par l'Oregon .
Vers l'Ouest au loin on distingue dans cet air d'une pureté limpide la chaîne des Monts Olympic.
Je reste une bonne semaine en compagnie de ces amis charmants visitant les environs et m'attardant un peu au musée uniquement tourné vers la Mer. Il y a là un canot en fibre de carbone, de formes futuristes, qui a effectué, propulsé uniquement à la rame, une traversée complète du Pacifique depuis Gig Harbor jusqu'à Cairns où d'ailleurs il s'est crashé sur une plage en plein coup de vent.
7500 milles à la rame à travers le Pacifique, il figure dans le Guiness Book des records. 11 mois de "galère" pour le rameur!
VERS OLYMPIA
Le Puget Sound ne se termine pas à Gig Harbor et l'étape suivante jusqu'à Olympia est assez spectaculaire.
Déjà je suis frappé par la diminution nette du nombre de bateaux sur ma route: sans doute moins intéressant pour les gens de Seattle, peut-être un peu loin?
Peu importe, ce sera une balade superbe sous la surveillance constante du Mont Rainier.
Au sortir de Gig Harbor, tout de suite je longe une série de très belles maisons de bois colorées sur pilotis on se croirait au Cap Ferret, au Canon ou à Piraillan....Il faut que le temps soit constament maniable pour oser ainsi construire ces maisons sur l'estran avec l'ocean qui vient lècher le plancher aux grandes marées d'équinoxes!!
Je ne me lasse pas de découvrir ces villages de pêcheurs devenus résidences secondaires : serions nous au Cap Ferret ou au Canon?
A peine quitté ces ravissantes maisons un autre spectacle m'attend: les ponts jumeaux de Tacoma.
Alors là ça mérite une explication qui nous ramène à nos études de terminales avec ces ondes stationnaires et autres phénomènes de résonnance.
Tout le monde sait qu'un régiment ne doit surtout pas franchir un pont en marchant au pas.
Le pont suspendu de Tacoma fut inauguré le 1er juillet 1940. Il permettait de franchir le détroit le plus court du Puget Sound, les Tacoma Narrows, en reliant les villes de Tacoma et de Gig harbor, évitant ainsi un détour immense par la route à cette époque.
Par un vent de 65km/h, alors qu'il était prévu pour supporter des rafales de 200km/h, il s'est mis à osciller et en moins d'une heure il était réduit en morceaux.
Le phénomène seul de résonnance n'explique pas totalement cette catastrophe mais ce serait trop compliqué de rentrer dans les détails techniques.
Toujours est-il qu'en Novembre 1940 il disparaissait de la carte routière.
En 1950 un nouveau pont suspendu fut inauguré fait d'une structure poreuse laissant passer librement les flux d'air. En 2007 il fut doublé, l'ensemble représentant une formidable oeuvre d'art technologique.
J'y suis passé donc à deux reprises en bateau et également en voiture. Connaissant l'histoire j'ai ressenti une forte émotion.
Je fais quelques escales sympathiques sur le chemin sinueux qui me mène à Olympia.
Olympia est une ville de taille modeste comparée à Seattle, mais comme Canberra pour l'Australie, c'est la Capitale du Grand Etat de Washington.
C'est là que se trouve le Capitole où siègent les membres du congrès de l'Etat.
Comme d'habitude je suis très méfiant sur les conditions de mouillage et cherche à tout prix à éviter d'accoster à un quai de peur de louper ma maneuvre ou d'avoir des difficultés à frapper mes aussières à terre.
Rick, qui vit à Olympia, me pousse vraiment à me mettre à quai.
Olympia est située à la toute dernière extrémité d'un fjord qui se rétrécit de plus en plus pour pénétrer au coeur même de la Cité.
Rick me guide par téléphone mais je ne vois toujours pas le ponton visiteurs. A la fin je lui dis:
- Rick il est comment ce ponton?
- tout en longueur, 200 yards
- oui mais combien de bateaux?
- euh! un seul, le tien quand tu y seras!!
C'est l'Amérique, où qu'on aille il y a toujours au moins une place, là j'en ai 10!
Il m'accueille en vieux loup de Mer et me voilà encore une fois en plein milieu d'une capitale comme cela m'arrive souvent: je suis chez moi et à Rio ou New York ou Vancouver .... Chez moi! Pas besoin d'hôtel ou de restaurant, je suis chez moi!!
Je cherche la Capitainerie pour payer ma place, c'est flêché: alors là vous regardez le numéro du ponton (A ou B?), pour vous c'est 0.5 dollars le pied (72x 0.5= 36 dollars/nuit). Ici c'est l'enveloppe, mettez votre argent dedans et glissez la dans la boite aux lettres.. Bon, facile sauf que je n'ai que 40 dollars... Et puis tant pis, ils sont tellement sympas je mets mes deux billets de 20 dollars et glisse mon enveloppe .
Le lendemain en revenant du marché je trouve une enveloppe à mon nom glissée sous ma porte avec 4 dollars!!
C'est comme ça, et ce n'est pas la première fois. Ca me rappelle quand dans Queen Street à Auckland on prenait son journal dans une pile posée à même le sol et qu'on déposait 1 dollar dans la sébille à côté. Personne pour vérifier, personne pour piquer le fric!! On a vécu une époque formidable, mais il y a encore des coins dans le monde où c'est encore un peu comme ça!!
Rick me fait visiter la ville et m'invite à déjeuner dans un restaurant "Oyster House", moi qui suis fou d'huîtres je lui demande si elles sont "vraiment " vivantes. Il semble que oui.
J'en ai pris 6 (hors de prix) "vraiment" vivantes et franchement délicieuses, un peu petites , mais charnues, élevées tout près d'ici.
Pour le reste le plateau de fruits de mer était horrible, passons rapidement là-dessus.
Rick est lui aussi propriétaire d'un Sélène (décidément) de 49'.
Après avoir visité Jade il est impatient de me montrer son "Jean-Marie" (sic).
Et là, franchement je vis une expérience unique pour un Français, Calédonien de surcroît.
Son bateau est amarré au Yacht Club. Ce n'est pas un Yacht Club à l'anglaise, un peu chic et coincé, non c'est décontracté au possible.
Mais quand même, nous voilà empruntant un ponton de bois menant à une sorte de village en bois avec un genre d'avenue centrale et des rues, toujours en bois, flottantes, de part et d'autre. Les maisonnettes se succèdent avec des numéros et des décorations marines assez jolies. La dernière c'est celle de Rick, c'est la plus imposante: il ouvre la porte et me voilà face à un gros trawler de 50', immaculé, dans une sorte de cocon de bois, surmonté d'une belle charpente.
Rick est propriétaire d'une "boat house". Pour sortir il appuie sur un bouton et le fond s'escamotte pour laisser glisser vers le large son Jean -Marie.
C'est un autre monde, en tout cas pour moi!
RETOUR A GIG HARBOR
Me voilà maintenant sur le chemin du retour.
Encore quelques escales sympathiques sous le regard du majestueux Mont Rainier que j'ai le plaisir de contempler à toutes les heures du jour et surtout au coucher du soleil que j'ai maintenant dans le dos.
Un soir j'entends un vacarme assourdissant qui n'en finit pas, un grondement sourd et profond. Je pense à un gros avion de chasse. Et puis je distingue sur fond de volcan un ruban multicolore qui serpente le long de la berge. Un de ces trains de containers à l'américaine, lents comme tout, de plusieurs kilomètres de longueur, il se dirige vers Tacoma et me permet de prendre quelques photos étranges.
Je repasse les Tacoma Narrows et retrouve mes amis Bill et Christine rencontrés à Olympia et avec qui je me suis lié d'amitié. Ils me font plaisir: elle, chirurgien viscéral, lui agent immobilier, ils ont décidé de partir à la voile pour une destination encore mal définie.
Le voilier est costaud, une cinquantaine de pieds, armé pour la haute Mer, mais ils débutent. Vous imaginez bien que leurs questions ont fusé. A mon avis ils vont commencer par l'Alaska, mais je ne serais pas surpris de les voir un jour dans les canaux de Patagonie et qui sait en Géorgie du Sud, dont je n'ai pas manqué de leur montrer quelques images. Ils rêvent et je ne peux que les pousser à réaliser leurs rêves, à en faire leur réalité comme dit St Exupéry.
De retour à Gig Harbor je fais un crochet par Tacoma, ce port historique, devenu un hub pour containers et commerce du bois.
J'y ferai juste une incursion rapide mais j'en garde un bon souvenir. L'entrée est dominée par un splendide château qui n'est autre que la High School...
Et puis j'aperçois le musée de glaces et les vieux chantiers navals du temps de la ruée vers l'or.
De retour à Gig harbor, je retrouve mes amis et participe comme à l'aller à de nombreuses réjouissances chez les uns ou les autres. Joel m'offre un de ses Banana Breads délicieux qui me fera plusieurs jours (une confiserie).
Matt, passionné par l'aventure de Shackleton, me pousse à redonner la conférence que j'avais donnée l'an dernier au Musée Maritime de Nouméa (cf. l'article sur Shackleton dans le blog). Il faut dire qu'il était venu à bord pour voir mes photos.
Sa télévision est absolument gigantesque et je dois dire que je n'ai jamais aussi bien visionné les incroyables images ramenées de l'enfer blanc par Franck Hurley.
Ils sont nombreux à m'écouter et je suis dans mes petits souliers car c'est évidemment en anglais. Mais ce sont des gens non seulement bien élevés mais de grande classe et cultivés.
A la fin de ce séjour, le 4 septembre, le soleil se voile progressivement et l'air que l'on respire sent le feu de bois: d'énormes incendies sont en cours au Nord Est de l'Etat de Washington et peu à peu on finit par ne plus rien voir. Curieusement par je ne sais quel phénomème qui nous dépasse il y a eu un subtil mélange de paticules et la fumée s'est changée en brouillard de plus en plus épais si bien que je n'ai pratiquement plus rien vu jusqu'au mois d'octobre!
VERS PORT TOWNSEND
Sur la route qui me mène dans le brouillard vers Port Townsend, je fais deux courtes escales à Eagle Harbor juste en face de Seattle que je ne verrai pas du tout, et à Port Ludlow où je fais quand même voler mon drone avec une certaine apréhension de le voir disparaitre à ma vue perdu dans le brouillard.
La fumée des incendies se mue progressivement en brouillard humide.
A Port Townsend j'ai rendez-vous avec l'histoire.
Histoire récente, datant de la ruée vers l'or, de cette ville de pierre qui a beaucoup de charme et qui organise tous les ans un rassemblement de portée nationale de vieux gréements en bois, le Wooden Boats Festival. D'où la présence de nombreux chantiers navals traditionnels et une célèbre école pour les charpentiers de Marine (Wooden boat Foundation) qui attire une foule d'amoureux de la Marine en bois. Du côté des chantiers il faut absolument faire un tour à la Wooden Boat Chandlery qui sent bon le chanvre et le goudron.
La ville est semée de bâtiments historiques en pierre datant des années fastes de la fin du XIX ème quand elle espérait encore abriter le terminus du Transcontinental Railway.
Il faut dire que sa situation en bordure du Juan de Fuca Strait et son statut de Port d'entrée en Amérique pour les navires arrivant de tout le Pacifique, des Indes Orientales, de Chine, du Japon....en faisait le port idéal. Mais c'était sans compter sur Tacoma et plus tard Seattle qui l'emportèrent et condamnèrent Port Townsend à un rôle secondaire.
Elle compte aujourd'hui 10000 habitants dont beaucoup ont choisi la ville Haute et ses splendides maisons victoriennes.
Histoire beaucoup plus ancienne aussi parce que mon ami Raymond Proner, passionné d'archéologie sous-marine et actuel Président de l'Association "Fortunes de Mer Calédoniennes", m'a demandé de prendre conatct avec un citoyen de Port Townsend dont il sait qu'il possède un pierrier très ancien, de fabrication française ayant peut-être équipé un des vaisseaux de La Pérouse.
NOUVEAU RENDEZ VOUS AVEC LA PEROUSE
J'appelle donc Jim Kennan, propriétaire du fameux "canon" et je dois dire que le premier contact est un peu froid car il me dit que son épouse est très craintive en raison du Coronavirus. Je me sens, moi étranger, un peu pestiféré. Après palabres il me donne rendez-vous au ponton du centre ville, je suis mouillé juste en face, ça tombe bien.
Il m'amène chez lui, pas bien loin mais dans la ville "haute" le quartier résidentiel historique. Les maisons de style victorien sont ravissantes, entourées de beaux jardins sans séparation entre elles comme souvent aux Etats Unis.
J'arrive à attraper un pâle soleil posé sur une cheminée à la manière d'un lampadaire.
Et puis nous voilà chez lui. Tout le monde est masqué bien entendu, sa femme reste à distance mais finalement vient s'asseoir avec nous dans le salon. Sur la cheminée trône le "canon" objet de ma visite.
Jim me propose un scotch que j'accepte avec empressement, tout comme lui et il nous sert une dose à réveiller un mort.
C'est excellent car en 5 minutes les masques tombent, sa femme s'avère être charmante et lui un excellent convive.
On se prend en photo devant l'objet historique et il me raconte qu'originaire d'Alaska , de Petersburg exactement, son père, marin pêcheur, avait troqué cette pièce magnifique chez des indiens Haïda de Klowock où nous étions passés l'an dernier en visitant l'Île de Prince of Wales.
La date 1762 , fabrication à Rochefort par un certain Dupont, numero 36 et 140 livres. Tout concorde: il s'agit à coup sûr d'un des pierriers équipant une biscayenne de l'Astrolabe, la frégate de La Pérouse.
Vous vous souvenez sans doute (lire l'article sur Lituya Bay) que La Pérouse à la recherche d'un passage vers le Canada avait fait escale en 1786 à Lituya Bay sur la côte SE de l'Alaska. Deux de ses biscayennes (lourds canots à deux mâts, peu maneuvrants) avaient sanci dans la redoutable passe d'entrée de cette baie entraînant la mort de 21 marins français.
De là à imaginer que les autochnones aient pu retrouver ces épaves et en particulier ces pierriers, il n'y a qu'un pas. Tous les éléments sont maintenant entre les mains des spécialistes et en particulier d'Elisabeth Veyrat du DRASSM, passionnée par cette découverte.
Un pierrier ayant très vraisemblablement équipé un des vaisseaux de La Pérouse. Jim et moi devant le canon.
Jim et sa femme sont par la suite venus me rendre visite à bord et la peur du Covid s'étant effacée nous avons bien sympathisé et promis de nous revoir d'autant que leur résidence secondaire se trouve, en toute simplicité, à Warm spring Bay, île de Baranov. On a vu pire comme lieu de vilégiature.
Je rend une petite visite au chantier naval au sud de la ville.
Comme par un fait exprès j'assiste à une maneuvre exceptionnelle: le chauffeur du travel lift de 300 tonnes (excusez du peu) est en train de positionner le voile de quille d'un fabuleux voilier de course de 90' au dessus de son lest en forme de torpille pesant 28 tonnes : il s'agit de faire rentrer une douzaine de goujons de forte section dans les trous correspondant de la quille. Autant dire maneuvrer littéralement au millimètre. Une merveille de précision, réussite parfaite, travail impeccable. Je suis bluffé!
VERS ANACORTES
"- Jade, Jade, this is freighter Columbus, do you hear me?
- this is Jade, yes I copy you loud and clear, good morning Sir
- Jade this is Columbus, I make 24 knots and you're about to cross the main channel, what is your intention?
- .....heu, I turn 90° to port... "
Quittant Port Townsend j'avais fait une grosse bêtise.
Mon mouillage étant tout près du détroit de Juan de Fuca, mais sans aucun danger apparent, j'ai pour une fois (mais une fois suffit c'est bien connu) négligé de tenir compte de la marée.
Je m'apprête en effet à couper le rail au trafic intense qui relie l'entrée du détroit aux grands ports de Seattle et Tacoma. Et je me retrouve effectivement en plein brouillard avec un courant de 5 noeuds dans le nez. Du coup j'avance à 2,5 noeuds et les autres à 18+ 5 = 23/24 noeuds....
Les cornes de brumes retentissent à intervalle régulier. Un son très inquiétant à faire froid dans le dos.
J'ai mes deux radars et l'AIS en route bien sûr, je vois parfaitement les échos des monstres et je sais bien que c'est dangereux de vouloir couper à angle droit ce couloir de navigation. A l'étale ce serait un jeu d'enfant, mais là c'est la roulette russe.
J'en vois passer deux qui sortent au dernier moment du brouillard épais. 240 mètres, 80000 tonnes. Brrrrrr!
Je finis par traverser le rail et me dirige vers Anacortes.
Sur la route je croise une balise qui file au moins à 4 noeuds, une famille de cormorans est perchée sur le sommet masquant son feu par moment, la cloche sonne au rythme d'une très faible houle.
Un voilier fantômatique me croise au loin.
ANACORTES
J'ignore tout de Anacortes sur le plan du mouillage, je sais juste qu'il n'y a pas d'eau et qu'il faut mouiller loin du rivage.
J'y fais une escale purement technique car je veux me rendre compte par moi-même à quoi ressemble cette Mecque de la navigation de plaisance sur la Côte NW de l'Amérique. En effet en dehors de Seattle et de son Lake Union littéralement bourré de yachts de toutes sortes, mais obligés de franchir une écluse pour y accéder, c'est Anacortes qui semble prendre actuellement le dessus avec ses multiples et immenses marinas, ses nombreux chantiers navals supérieurement équipés avec ici aussi un travelift de 300 tonnes.
Selene y a ses bureaux et la moitié de la production du chantier de Hong Kong a été vendue ici.
Très impressionné je prends des renseignements pour d'éventuels futurs travaux en particulier de carénage.
Pour les habitants de l'Etat de Washington c'est un port très séduisant car accessible directement par la route. De là un réseau très dense de ferries permet d'accéder très simplement soit aux îles San Juan, soit à Sidney et par là à Victoria, la capitale de la British Columbia et donc à la magnifique île de Vancouver.
Le groupe des îles San Juan est là, tout de suite à quelque 5 milles vers l'ouest. La frontière canadienne à 25 milles et Vancouver à 50 milles .
Je n'ai malheureusement pas le temps de visiter la vieille ville qui parait-il est ravissante.
Il me faut rallier Friday Harbor puis Roche Harbor pour prendre mes quartiers d'hiver.
RETOUR A ROCHE HARBOR
Je traverse donc en plein brouillard la courte distance qui me sépare à présent du groupe des îles San Juan , fais deux escales sur la route avant d'arriver à Friday Harbor où m'attendent Mark et sa famille.
Je visite Hidden Harbor que j'avais évité à l'aller car rempli comme un oeuf de dizaines de bateaux. J'en profite pour me réapprovisionner au "super-mini-marché" du Orcas ferry landing et je pêche pour l'avant dernière fois une quantité invraisemblable de Dungeness et red rock crabs.
Cette fois-ci j'avais mis dans le sac à appât quelques noix de coquilles St Jacques décongelées et périmées. Les crabes adorent ça et ils n'ont rien laissé que leur propre présence. Comme d'habitude je garde 6 gros red rocks et 5 Dungeness tous mâles as usual. Je vais pouvoir faire des cadeaux aux amis de Friday Harbor. Les Washingtoniens ont une astuce pour tuer instantanément les crabes sans aucune souffrance: ils les mettent sur le dos, les crabes s'immobilisent et d'un coup de gourdin bien appliqué entre les deux yeux, la bête passe de vie à trépas en un millième de seconde.
J'ai trouvé cela bien moins cruel que de les plonger vivants dans l'eau bouillante.
Nous avions déjà pris l'habitude de les endormir par le froid en les mettant une bonne demi-heure dans le freezer. Mais cette technique est encore plus respectueuse de la souffrance animale.
Entrée dans le chenal des Îles San Juan au coucher du soleil en plein brouillard. Je croise un ferry et pêche pour une des dernières fois.
Les derniers jours se passent à hiverner le bateau. C'est du travail et c'est le moment de faire l'inventaire des travaux à prévoir avant la prochaine saison. Pas grand chose à vrai dire, un chauffage en panne mais facile à réparer (une pièce à commander) et le compartiment freezer du gros combi Liebherr en panne depuis un moment, plus compliqué. Par chance Jade possède un deuxième freezer à plaques eutectiques trop gros pour moi tout seul cette année mais indispensable en Alaska quand la pêche est quasi miraculeuse.
Pour la petite histoire, je devais être muni d'un test PCR négatif pour pouvoir prendre mon avion sur Paris. Cari Matthews, la femme de Mark est urgentiste dans le petit hôpital de Friday Harbor. J'y vais en taxi et l'affaire est pliée en 30' montre en mains.
Quelques jours plus tard à Paris, même problème pour embarquer dans l'avion qui m'emmène à Nouméa. Mais en France c'est la pagaille, on me demande 3 jours pour obtenir un résultat obtenu en 25' dans une petite île perdue de l'Etat de Washington et je me sens obligé pour assurer le coup, de faire une deuxième prélèvement dans un deuxième laboratoire non sans avoir fait 2 heures de queue à 7 heures du matin. C'est ce laboratoire, où je n'avais pas pris de rendez-vous, qui m'aura permis de pouvoir prendre mon avion, l'autre, où j'avais rendez-vous, m'a transmis son résultat quand j'étais déjà à Tokyo!
Encore heureux que les deux résultats aient été concordants!!!
Là, je suis un peu méchant, mais cette histoire m'a franchement énervé d'autant qu'une laborantine m'avait jeté à la figure "hé bien si aux Etats Unis vous avez votre résultat en 30 minutes, pourquoi n'y retournez vous pas vous faire tester. Ici on est à Paris et c'est 3 jours!!"
Je l'aurais bouffée!!
Me voilà à présent à Nouméa, en quarantaine à l'hôtel, devant la magnifique baie de l'anse Vata où les kite surfers s'en donnent à coeur joie. C'est frustrant, mais je sais que une fois libéré je serai alors libre comme l'air : grâce à sa politique sanitaire très stricte, nous sommes, comme la Nouvelle Zélande, un des rares pays au monde totalement Covid Free.
Et ça c'est merveilleux aussi !!!
La liberté n'a pas de prix!! Pas belle la vie ???