La saison est déjà avancée lorsque nous décidons de quitter Cordova, ce bien joli port de pêche situé dans l'Est du Prince Williams Sound: fin Août en Alaska l'hiver approche à grands pas. Et pourtant nous bénéficierons en cette année 2018 d'un temps idéal. L'an dernier à la même époque il pleuvait sans discontinuer et les tempêtes de Septembre s'annonçaient déjà.
Un ami de Seattle, naviguant sur son magnifique Oasis ( Delta Marine 70'), me disait qu'il avait à son actif 17 traversées du Golfe d'Alaska dans les deux sens et qu'il évitait de traîner dans le coin quand ce n'était pas nécessaire. Mon projet initial était de faire un stop dans Icy Bay et à Yakutat où j'avais d'ailleurs envisagé une relève d'équipage. Il m'en a fortement dissuadé me disant que je ne verrai rien de plus que ce que j'avais déjà vu et que ce Golfe d'Alaska pouvait être redoutable à cette époque de l'année. Mes amis du voilier Celeste en avaient d'ailleurs fait les frais en 2017, bloqués pendant des semaines, d'abord à Icy Bay, puis à Yakutat. Il faut dire que les coups de vent soufflent toujours du Sud Est et donc en plein dans le nez. Du coup nous avons profité d'une excellente fenêtre météo pour faire un direct sur Lituya Bay.
Une traversée sans histoire de 360 milles accomplie en deux jours avec le gigantesque Mont Saint Elias, puis le Mont Fairweather en fond de décor.
Glaciers Bay National Park et Lituya Bay. Lituya Bay est incluse dans le grand parc national de Glaciers Bay
LITUYA BAY
QUAND L'HISTOIRE DE FRANCE NOUS RATTRAPE
Qui a entendu parler de Lituya Bay?
La première fois que j'y ai séjourné c'était en Juillet 1994. A l'époque on m'avait indiqué une baie du nom de Port des Français dont j'avais les coordonnées géographiques datant de l'expédition de La Pérouse de 1786 ainsi que la carte dressée pendant le séjour des deux frégates La Boussole et L'Astrolabe dans la baie.
Reprenant les cartes américaines et recoupant les coordonnées je suis tombé sur celle de Lituya Bay exactement superposable à exactement 1° près de longitude : en effet La Pérouse naviguait à partir du méridien de Paris et non de Greenwich. Le nom seul avait changé.
Il était frappant de constater l'extraordinaire exactitude de la carte originale au regard des moyens désuets dont disposaient les ingénieurs de l'époque.
Pourquoi choisir Lituya Bay??
Je reviendrai un peu plus loin sur le côté historique mais déjà il est intéressant de noter que cette baie profonde et très abritée se situe à 40 milles à peine de Cross Sound Entrance, l'entrée vers le "Inside Passage" qui mène en eaux abritées à Juneau, capitale de l'Alaska.
Ce n'est donc pas bien loin et, alors que la côte depuis le Prince Williams Sound est très hostile, il y a entre Lituya Bay et Cross Sound plusieurs excellents mouillages dont le très beau Graves Harbour à tout juste 30 milles. Autrement dit visiter Lituya Bay ne constitue en rien un exploit sur le plan nautique.
Louis XVI donnant ses instructions de route à La Pérouse. La Boussole et l'Astrolabe au mouillage dans Port des Français Juillet 1786
Alors pourquoi Lituya Bay?
Les passionnés de La Pérouse connaissent évidemment la réponse et il y en a beaucoup parmi mes amis à Nouméa.
La Pérouse arrivait sur la scène des grands explorateurs un peu après Cook mais justement le Roi Louis XVI lui avait confié de nombreuses missions dont celle de tenter de compléter les découvertes du grand marin anglais en les surpassant autant que possible. Il y avait également un intérêt commercial, il ne faut pas se voiler la face, car depuis longtemps déjà les russes avaient découvert l'immense richesse en fourrures de toute la région depuis les Aléoutiennes jusqu'à Sitka. La Pérouse ramena des quantités de peaux de loutres qui valaient une fortune.
Et puis il avait une autre préoccupation beaucoup plus noble, celle de découvrir le fameux passage entre la côte Ouest de l'Amérique du nord et nos possessions canadiennes plus à l'est avec entre les deux cet obstacle redoutable des montagnes rocheuses. Et il a bien cru que c'était à partir de Lituya Bay qu'il y parviendrait. Il a vite été déçu car les trois glaciers situés dans le fond étaient absolument infranchissables.
Pour son malheur un drame épouvantable devait frapper l'expédition.
La petite escadre s'était bien installée à terre et sur une belle île située en plein milieu de la baie. Nous sommes en Juillet. Le temps est favorable et le vent quasi absent.
Si bien que les reconnaissances étaient aisées et les ingénieurs hydrographes, aidés par une station fixe installée sur l'île centrale, faisaient leurs relevés.
Le 13 Juillet La Pérouse envoie deux lourdes biscayennes et un canot à rames reconnaître les abords de la passe d'entrée, une ancienne moraine agitée de courants de marée. Les équipages étaient bien prévenus et ordre leur était donné d'éviter impérativement d'approcher la passe si des déferlantes étaient visibles. L'heure de la marée étale était connue et c'est à ce moment que l'exploration de la passe aurait dû logiquement être conduite. Malheureusement les très jeunes officiers pleins de fougue n'ont pas respecté les consignes et non seulement sont arrivés beaucoup trop tôt mais surtout n'ont pas respecté l'interdiction d'approcher car les déferlantes étaient là, bien en vue. Ils n'ont pas eu conscience de la vitesse extrême que prenaient leurs lourds bateaux entraînés par le courant sortant et que l'absence de vent ne permettait pas de diriger efficacement. Une première biscayenne prise dans le mascaret se retournait précipitant dans l'eau glacée de la passe tout son équipage, la seconde venue à son secours subissait le même sort. La chaloupe plus légère et manoeuvrante s'est retrouvée au large alors que les hommes ramaient à toute force vers l'intérieur de la baie propulsés à grande vitesse en marche arrière. Quand l'étale s'est enfin produite il était bien trop tard pour porter secours à qui que ce soit : aucun marin n'a survécu. L'expédition venait de perdre 21 hommes.
La Pérouse, accablé, n'a eu comme ressource que d'ériger un monument, un cénotaphe, qui donna par la suite son nom à l'île centrale. Une bouteille contenant un parchemin avec les noms des 21 marins était enterrée au pied d'une grande roche.
C'est ce que j'ai eu la prétention de vouloir trouver en 1994 mais c'était chercher une aiguille dans une botte de foin et je n'ai pu qu'à mon tour enterrer face à la passe, à une pointe remarquable, une bouteille de vin de Bordeaux avec un parchemin témoignant de notre passage dans ce lieu éminemment historique pour des Français.
Je rappelle au passage que La Pérouse a fait naufrage en début d'année 1788 sur le récif de l'Île de Vanikoro aux Îles Salomons, non loin de la Nouvelle Calédonie. Beaucoup de mes amis, sous la conduite passionnée d' Alain Conan, ont exploré et fait parler ces épaves dont les objets se trouvent exposés au Musée de l'Histoire Maritime de Nouméa ainsi qu'au Musée de la Marine au Palais de Chaillot à Paris.
Cette année j'avais à mon bord Raymond et Véronique Proner. Raymond, l'actuel président de l'"Association Salomons" (successeur d'Alain Conan), a participé à toutes les expéditions sur les épaves de Vanikoro et Véronique a pendant des années remarquablement restauré les centaines d'objets retrouvés immergés depuis plus de deux siècles. Le plus intéressant de tous est un squelette complet dont les généticiens tentent de retrouver l'état civil.
J'étais donc gâté de les avoir à mon bord!
TSUNAMI A LITUYA BAY
Le mécanisme du tsunami. Trace laissée par la vague sur la végétation aujourd'hui. La faille de Fairweather passe au milieu des deux glaciers.
LE SUPERTSUNAMI
Lituya Bay a une autre histoire, plus récente. En juillet 1958 au cours d'un violent tremblement de terre un gigantesque glissement de terrain se produisait dans le chenal Nord (Gilbert Inlet) du fond de la Baie où se trouve le Lituya Glacier. Trois bateaux de pêche étaient alors au mouillage. Dans un bruit inhabituel les milliers d'oiseaux nichant sur les falaises s'étaient tous envolés brusquement quelques minutes avant qu'une énorme vague submergeât la montagne à l'entrée du Gilbert Inlet. Un sorte de gigantesque éclaboussure. Le tsunami qui s'ensuivit progressait alors jusqu'à la passe et à la bande de terre et de roches qui ferme en partie la Baie vers le large et qui se nomme depuis La Pérouse "la Chaussée". Un bateau franchissait ainsi cette bande de terre bien au dessus des arbustes pour se retrouver en train de couler en pleine mer, un autre disparaissait corps et biens (2 morts) et le troisième faisant face à la vague se retrouvait propulsé dans les airs et survolait l'Île du cénotaphe pour terminer sa course de l'autre côté sans dommage notable.
On estime la hauteur de la première vague (splash) qui heurtait la montagne à l'opposé du glissement de terrain à 520m environ ce qui en fait le plus important de l'histoire à ce jour.
Les rives de la baie ont été mises à nu, littéralement pelées, par un vague d'une trentaine de mètres environ. Aujourd'hui on distingue parfaitement la limite supérieure atteinte par la vague sur les rives de la Baie et sur l'Île du Cénotaphe: une ligne ondulée marque la nouvelle pousse plus claire des arbres par contraste avec la couleur plus sombre des arbres anciens situés au dessus.
Lituya Bay a connu de nombreux tsunamis (1854,1916,1936,1958...) tous liés à des chutes de glace ou de terre se produisant dans le fond de la baie. En effet la faille de Fairweather (Beautemps) qui vient de Glaciers Bay et remonte vers le Mont St Elias au Nord, passe exactement au centre des deux inlets orientés à 90° par rapport au corps principal de la Baie orientée, elle, vers l'Ouest.
Le 2 Septembre 2018 , 232 ans après La Pérouse, à 13 heures locales nous franchissions la passe d'entrée dans Lituya Bay aidés par un excellent alignement à terre. Bien entendu je ne prends pas de risque: c'était l'étale de marée haute dans la passe!
L'émotion était au rendez-vous. Temps splendide, spectacle de toute beauté, nous contournons par le Sud l'Île du Cénotaphe, longeons les hautes falaises où nichent habituellement des centaines d'oiseaux de mer et mouillons par 20m d'eau dans une anse de sa côte Est orientée vers les glaciers.
Falaises de l'ïle du Cénotaphe en Septembre 2018 et Juillet 2019.Les oiseaux migrent après avoir couvé leurs oeufs.
Sur la moraine du Lituya Glacier. Le glacier suspendu n'atteint plus la mer depuis longtemps. L'image radar superposée à celle de la carte montre la situation exacte actuelle des glaciers et des glissements de terrain.
Les annexes sont immédiatement mises à l'eau et notre première visite fut pour le fond de la baie et ses deux bras terminés par des glaciers.
Disons le tout de suite: les trois glaciers sont rétractés et couverts de roches et de terre brunâtre leur donnant un aspect sale, mais si nous avions pu remonter plus haut dans les vallées nous aurions contemplé de magnifiques et immenses masses de glace quasi infranchissables. Une rivière au flot rapide sort du Lituya Glacier et nous marchons deux bonnes heures dans un dédale de rochers lisses usés par l'érosion de l'eau pour atteindre le front du glacier. C'est très impressionnant d'autant qu'il faut se rendre à l'évidence que en 1958 ces millions de tonnes de roches et de terre étaient encore accrochés au flanc de la montagne qui nous surplombe sur la droite. On parle de 90 millions de tonnes! C'est sur l'autre montagne lui faisant face que la vague de plus de 500m est montée jusqu'au sommet aujourd'hui de nouveau recouvert par la végétation. Il est difficile d'imaginer ce qui s'est produit ici.
Le lendemain nous explorons l'Île du Cénotaphe pendant toute la journée. Raymond est certain que la station d'observation était installée sur une partie plate juste en face de Jade. Il nous entraîne à sa suite et nous fouillons sans rien découvrir. Le terrain est difficile essentiellement marécageux. D'énormes arbres gisent là, leurs racines vers le ciel sans doute abattus par la vague du tsunami.
Côté Ouest non plus, rien à se mettre sous la dent quand soudain Jacky pousse une exclamation : il a découvert, cachée dans un sous-bois à flanc de falaise, bien scellée dans du granit, une belle plaque en bronze. Très excités nous nous approchons et découvrons qu'elle a été installée en 1940 à la mémoire de Jim Huscroft qui vécut en ermite pendant 22 ans sur cette île magnifique dans les années 1920/1930. Il fut d'ailleurs témoin du tsunami de 1936 et il rapporte dans ses mémoires que son bateau, mouillé dans 15m d'eau, a touché le fond au cours d'une des trois ondes de ce phénomène.
Peut-être en fouillant dans ses mémoires retrouverons nous des traces du passage de La Pérouse. Il ne peut pas pendant 22 ans ne pas avoir fouillé chaque pouce de son île. Travail en cours. Nous savons déjà que les Russes venus faire le commerce des peaux avec les natifs avaient retrouvé plusieurs objets d'origine française qu'ils ont emportés avec eux.
Le jour suivant nous mouillons juste au Nord de la passe, dans Anchorage Cove, totalement abrités de la houle par La Chaussée Spit, ce reste de moraine en arc de cercle.
Nous parcourons très difficilement les quelques centaines de mètres qui nous amènent à la pointe et passons un long moment à méditer sur le destin de 21 jeunes marins pleins de vie. La passe ce jour là est calme et on a du mal à imaginer le drame.
Le site est sauvage: un rocher couvert de guano sert d'observatoire à une troupe de cormorans en pêche, on entend les souffles rauques en provenance de la colonie de lions de mer de l'autre côté de la passe. On imagine les deux grosses frégates embouquant l'étroite passe et manquant d'y faire naufrage quand le vent brusquement a refusé.
Lituya Bay.
Nostalgie. Nostalgie.
Très belle escale.
Soupe de Champagne pour célébrer ce grand moment.
Je n'ai pas pu m'étendre plus longuement sur l'histoire de La Pérouse en particulier, mes amis de Fortunes de Mer Calédoniennes et du Musée de l'histoire Maritime voudront bien me le pardonner, sinon ce blog n'y suffirait pas.
Encore merci à Véronique et Raymond Proner pour certaines photos qu'ils ont bien voulu me confier.
GRAVES HARBOR
30 milles au Sud de Lituya Bay, parmi les nombreux mouillages, nous optons pour le plus sûr: Graves Harbor. La descente est splendide car nous longeons un immense glacier qui atteint la côte, le glacier La Pérouse, et passons des heures à énumérer les hauts pics enneigés qui portent des noms Français: Fairweather (Beautemps), Crillon, Dagelet, La Pérouse etc... Toute cette région comprenant Lituya Bay fait en réalité partie du très célèbre Glaciers Bay National Park accessible principalement par le Inside Passage et envahi par les bateaux de tourisme.
Nous reconnaissons aux jumelles Astrolabe et Boussole Bays où, semble-t-il, La Pérouse n'a pas mouillé.
Graves Harbor est un mouillage de rêve: plusieurs îlots encombrent le fond procurant un abri pour tous les vents. Les saumons font des concours de sauts paraissant narguer les ours bruns nonchalants mais finalement plus rapides et adroits qu'il n'y paraît.
Ils nous narguent aussi car, de mémoire, je ne crois pas que nous en ayons remonté un seul!
ELFIN COVE
C'est mon troisième passage dans la région mais je ne sais pourquoi je ne m'étais jamais arrêté à Elfin Cove sans doute parce qu'à examiner la carte marine on se demande bien où on va pouvoir loger un bateau: ça parait bien petit!
Auparavant nous avions franchi le Cap Spencer et son imposant phare qui marquent l'entrée de Cross Sound.
On pénètre alors théoriquement dans le Inside Passage mais l'immense embouchure est quand même exposée à la houle du large et aux forts courants de marée. On commence à revoir de nombreux bateaux de pêche, essentiellement des trollers qui traînent à 2 nds pour le saumon. Ils sont beaux car équipés de grands tangons symétriques de part et d'autre évoquant de longues antennes.
Elfin Cove est nichée dans une espèce de chenal tortueux fermé vers le large par une belle île boisée. Rien ne peut y arriver, c'est l'abri parfait.
12 habitants permanents! Un peu plus l'été car viennent y séjourner, dans les deux lodges, des pêcheurs passionnés.
Il me revient en mémoire une petite anecdote: Michel, un de mes équipiers, cherchait à regagner Juneau assez rapidement alors que nous étions encore en route au large. Je lui dis qu'il y a vraisemblablement un hydravion soit à Elfin Cove soit un peu plus loin à Hoona. Essayons déjà Elfin Cove, qui sait?
Oui il y a un vol qui colle parfaitement.
Michel alors interroge l'agent: " l'aéroport est-il loin de la "marina" please?". Réponse: "pas vraiment" mais on n'en saura pas plus pour l'instant.
Je mets alors un peu plus tard Jade à quai et je peux dire sans aucune exagération que notre place se situe à 10 mètres à tout casser de celle de l'hydravion. Nous en sommes les plus proches voisins. Un petit saut et hop on embarque!
Imaginez le plus adorable port de pêche qui soit avec son ponton de travail où les tenders déchargent leurs prises et un long catway en bois où s'amarre en fin de journée toute une flotille de trollers la plupart de construction classique ancienne en bois.
Nous nous faisons immédiatement des amis et organisons une super soirée sur Jade en compagnie de la moitié de la population permanente soit une demi douzaine de personnes!
Soupe de Champagne pour tout le monde et une bonne soirée de franche amitié.
On nous offre du halibut et des champignons délicats. Certains partent de bonne heure le lendemain chasser un cerf pour remplir le frigo.
La gérante du ponton de pêche vit sur un grand troller qu'elle a acheté pour faire la pêche au saumon. Elle habite Anchorage l'hiver mais habituellement fait la pêche au large avec un ou deux équipiers et ses deux chiens. Elle a à peine 30 ans, saine et bien dans ses baskets, elle fait plaisir à voir.
Pas de rues ni de véhicules dans ce village miniature mais des chemins en bois où il fait bon cheminer.
Il y a un genre de mini-supérette où la patronne juchée sur un fauteuil tournant vend de l'alcool vers le Sud et de l'épicerie vers le Nord: pas question de déroger à cette règle, il y a une porte d'accès des deux côtés et les caisses sont différentes.
Et puis une poste et une école pour 3 ou 4 enfants les années fécondes!
John m'explique le phénomène toujours imprévisible du megatsunami de Lituya Bay. Passionné par le sujet il a fait 5 séjours sur place. Un des rares habitants permanents de Elfin Cove.
Quand Michel prend son avion, il est prêt très tôt et s'inquiète de ne voir personne un quart d'heure avant l'heure prévue.
On voit alors arriver d'un pas nonchalant une jeune femme et son tout petit garçon équipé de sa lifejacket. C'est l'agent de la compagnie, une des 12 permanents du village. Elle enregistre les bagages qu'elle pèse sur une antique balance mécanique. A ce moment dans un vrombissement d'hélice le floatplane accoste dominé par la haute étrave de Jade!
Moment unique et rassurant aussi car en Alaska, où qu'on se trouve, il est toujours possible de se faire récupérer en cas d'urgence alors que par ailleurs on navigue en pleine nature vierge sans rencontrer âme qui vive en dehors des animaux. Je dois dire que j'apprécie beaucoup cette sécurité! L'âge sans doute car quelques années en arrière du côté de Grytviken je ne m'en souciais guère.
DUNDAS BAY
Depuis Elfin Cove le fameux Glaciers National Park est tout près mais nous ne sommes pas sevrés de glaciers. Pour y accéder il faut faire une demande longtemps à l'avance et on doit partager le spectacle avec de nombreux autres navires dont les plus gigantesques paquebots actuels.
Juste à l'ouest se trouve une baie profonde et sinueuse dominée par le gigantesque Brady Glacier: Dundas Bay. Nous nous y rendons en empruntant South Inian Pass que j'ai déjà pratiquée auparavant et où on est certain de trouver une famille de baleines à bosse. Elles sont au rendez vous, en plein courant, se gavant de menu fretin.
Nous mouillons au fond de la Baie dans un cadre somptueux avec Brady Glacier en fond de décor.
Sur le chemin du retour Raymond, toujours à l'affût, nous propose de mouiller car il a aperçu les ruines rouillées d'un vieux bâtiment. C'est une ancienne station baleinière dont il ne reste pas grand chose mais une fois de plus nous évoquons ces hommes courageux d'un autre temps qui ne savaient pas qu'ils mettaient une espèce en danger quand à l'époque la demande était forte pour l'huile des lampes et des réverbères.
HOONAH
Je ne connaissais pas non plus Hoonah où nous récupérons notre ami Jean Pierre dit "toubib" venu de Nouméa, lui aussi un membre incontournable de Fortunes de Mer Calédoniennes et des expéditions de Vanikoro. Il y a des avions réguliers depuis Juneau et Anchorage qui atterrissent à Hoonah.
Petit port de pêche c'est aussi un "native village" décoré de nombreux totems et autres sculptures indiennes. Comme tous ces villages indigènes il règne ici un certain sentiment d'ennui et de laisser aller. Il ya un grand supermarché et surtout un gigantesque "hardware", une caverne d'Ali Baba d'où j'ai du mal à extraire mon équipage. Nous revenons suréquipés pour toutes sortes de pêches!
SPASKY BAY
Court trajet depuis Hoonah mais véritable festival pour notre ami "toubib" tout juste embarqué.
Comme d'habitude le mouillage est parfait, l'eau calme comme un miroir. Très vite nous ramenons un beau halibut, Jean Pierre ouvre tout grands ses yeux.
Il commence à faire nuit et c'est à ce moment que le ciel s'éclaire vers le Nord , une draperie immense envahit le ciel prenant des couleurs vertes se mouvant à toute allure.
L'aurore boréale est un phénomène fascinant qui nous laisse bouche bée pendant plusieurs minutes.
TENAKEE SPRINGS
Continuant notre route vers Sitka nous contournons par l'Est la grande Île de Chichagof.
Un large et très long fjord mène à Tenakee Springs, un autre "native village" réputé pour ses sources chaudes.
Jade trouve difficilement une place derrière un très vieux ferry digne d'un musée maritime. Le village est triste comme souvent, beaucoup de maisons semblent à l'abandon et nous ne nous attardons pas, non sans avoir sacrifié au "onsen local" un bain brûlant dans une sorte de grotte bétonnée bien sombre et glissante qui suinte d'humidité.
PERIL STRAIT
L'Île de Chichagof au Nord et celle de Baranof au Sud sont séparées par un étroit bras de mer tortueux comportant deux rétrécissements majeurs en son milieu où les courants de marée peuvent atteindre 10 noeuds en période de vives eaux. Les américains nomment ces passes des "rapids". Il faut donc bien prévoir son coup à l'aller comme au retour.
L'entrée de Peril Strait est marquée par un phare auquel il faut donner un bon tour d'autant que les courants y sont aussi marqués.
C'est là que nous assistons à un spectacle plutôt rare : un bubble-net feeding de baleines à bosse. Au retour nous nous y attarderons beaucoup plus et ramènerons de belles photos.
La longueur du détroit (80 milles) nous oblige à faire deux escales, l'une à l'entrée des rapids dans Nusmeni Cove très propice à la pêche aux délicieux crabes de Dungeness et l'autre juste avant Sitka.
Le groupe d'îles dénommées Magoun Islands est situé en plein travers du détroit. En leur milieu une baie d'accès difficile par une entrée très étroite offre un abri parfait.
Le cadre est charmant même si les montagnes ici ont disparu pour laisser place à des îlots couverts de spruces.
Nous parcourons en annexes plusieurs bras de mer formant un réseau complexe . L'eau est claire comme du cristal laissant voir les longues feuilles de kelp ondulant dans le courant.
Calme absolu à peine perturbé par les cris des oiseaux de mer.
Un petit paradis à 10 milles de Sitka où nous sommes seuls au mouillage comme d'habitude.
Jean-Pierre ("toubib") et Claude (retour en enfance) se régalent dans le charmant mouillage de Magoun Islands.
SITKA
Je ne connaissais pas Sitka et pourtant j'en avais souvent entendu parler et je rêvais d'y faire escale.
Mon vieux copain Jacky doit repartir vers Nouméa et Sitka a un important aéroport dit "international" car en plus des vols régionaux sur Juneau et Anchorage on peut aussi se rendre à Seattle.
En approchant du port le cadre de haute montagne se précise et nous nous installons juste devant la capitainerie aux ordres du Harbor Master qui ne voit pas si souvent des bateaux de plaisance. Nous louons une voiture car nous avons bien l'intention de parcourir l'ensemble du réseau routier : 20km de part et d'autre du centre ville!
Sitka est une vraie curiosité pour qui s'intéresse à l'histoire de l'Alaska.
Fondée par le Russe Alexandre Baranov en 1787 elle s'appelait à l'origine Novoarkhangelsk et devint la capitale de l'Amérique russe. Baranof essuya plusieurs révoltes des Tlingits et il dut construire des forts dont il reste quelques rares vestiges de nos jours. Il faut bien reconnaître que je m'attendais à voir beaucoup plus de témoignages de ce passé, en fait il ne reste quasiment rien en dehors d'une impressionnante tour de défense en bois et de la fameuse et belle Cathédrale orthodoxe bleu pastel.
C'est à Sitka qu'a eu lieu le 18 octobre 1867 le transfert de propriété de l'Alaska des russes aux Américains pour la somme de 7 millions de dollars. Cette acquisition ne faisait pas l'unanimité car nombreux étaient ceux aux USA qui trouvaient cet achat hors de prix et surtout inutile ("un désert de glace"). Quand on sait ce qu'il en est aujourd'hui : un des états les plus riches qui se permet d'offrir en cadeau tous les ans à chaque citoyen la bagatelle de 2000 dollars de dividende des revenus du pétrole de Prudhoe Bay!
Comme je l'ai dit plus haut nous avons parcouru les deux tronçons de route au nord et au sud. A chaque extrémité un parc à parcourir à pied dans une belle forêt en bordure de la mer.
C'est sans conteste le côté sud qui est le plus beau. Sur notre route nous passons un moment à admirer les immenses totems du musée.
Puis une très belle marche, un peu longue et pentue, nous amène sur les rives d'un lac de rêve. L'eau est un miroir comme souvent où montagnes et forêts se reflètent sur la surface nous offrant un spectacle de toute beauté.
La ville de Sitka compte 9000 habitants. Au centre plein de boutiques pour touristes, on sent que l'escale est recherchée. Mais c'est très mignon.
Pour nous c'est l'endroit parfait pour refaire les approvisionnements, changer éventuellement d'équipage, dépanner le bateau.
Belle escale!
BUBBLE-NET FEEDING
Quittant Sitka nous reprenons en sens inverse le Peril Strait.
A sa sortie dans Chatham Strait nous avons rendez-vous comme à l'aller avec les baleines. Elles sont là, semblant nous attendre. De loin nous distinguons de multiples souffles et parfois, à intervalle régulier, de grandes gerbes d'eau donnant tout à fait l'impression d'une explosion sous-marine, suivie de l'apparition à la surface de nombreuses formes noires que les jumelles identifient comme des têtes de baleines à bosse. Nous nous en rapprochons et alors il nous est donné le privilège d'assister à un des plus beaux spectacles qu'il nous soit donné de voir en Alaska. Un bubble-net feeding que nous pouvons suivre pendant des heures.
Ce phénomène est plutôt rare et ne se produit qu'en certains endroits de la Planète dont le SE Alaska.
Les baleines à bosse sont énormes: 14m de longueur pour 35 tonnes environ. Elles ne peuvent se nourrir que de petits poissons, krill, harengs, saumons juvéniles, alevins. Elles n'ont pas de dents mais des fanons qu'elles utilisent pour filtrer l'énorme quantité d'eau absorbée en même temps que les poissons qu'elles recherchent.
C'est pourquoi elles ont mis au point une technique très sophistiquée de pêche appelée bubble-net feeding ou encore pêche coopérative. Car elles sont au moins deux mais souvent plus d'une douzaine ce qui était le cas pour nous.
Elles plongent toutes ensemble et forment une spirale de fines bulles d'une trentaine de mètres de diamètre allant en se rétrécissant. A l'intérieur de ce mur de bulles les harengs sont d'autant plus prisonniers qu'à l'extérieur les baleines émettent des sons extrêmement puissants qui les effraient et les forcent à se regrouper vers l'intérieur. C'est à ce moment que toutes les baleines sans jamais se gêner remontent à la surface la gueule grande ouverte et font le plein de nourriture qu'elles filtrent à travers leurs fanons. Un détail remarquable est bien le fait qu'elles coopèrent pour chasser et ne se font jamais concurrence.
Cela n'intervient que durant les mois d'été où elles remontent vers les eaux froides de l'Alaska, le reste de l'année elles repartent vers des eaux plus chaudes mais beaucoup moins riches et vivent sur leurs réserves.
Nous assistons en direct à ce phénomène qu'elles répètent à l'infini sans se lasser. Il faut dire qu'elles absorbent ainsi plusieurs tonnes de nourriture par jour.
Ce qui est très amusant c'est qu'une foule innombrable d'oiseaux de mer les accompagne. Quand elles sondent ils se posent sagement. On n'entend plus un bruit. Et puis soudain tous s'envolent dans un bruit assourdissant de cris aigus et se dirigent exactement là où les baleines vont surgir du fond si bien qu'il est assez facile de s'y diriger et d'orienter notre regard. Le feeding lui même est court et intense.
ELL COVE
Poursuivant notre route vers le Sud dans Chatham Strait, nous entrons dans une petite baie profonde en forme de L d'où son nom.
Encore un bijou de mouillage: nous sommes seuls comme d'habitude au milieu d'un cirque de montagnes élevées couvertes d'une forêt dense de spruces.
Seuls au monde, la nature généreuse nous offre un halibut et une belle récolte de Dungeness Crabs. Chaque soir au mouillage nous partons en annexe installer nos deux casiers et au matin c'est toujours la bonne surprise. Nous relâchons les femelles et les mâles qui ne font pas la bonne taille.
WARM SPRING BAY
Encore quelques milles au Sud de Ell Cove et nous entrons dans Warm Spring Bay. Chaudement (c'est le cas de le dire) recommandé par un pêcheur de Hoonah alors que je lui demandais ce qu'il pensait de Tenakee Springs, c'est un très beau spot pour une fois plus fréquenté que ceux que nous visitons d'ordinaire. Il y a là dans le fond d'une profonde baie, un ensemble de belles maisons formant le minuscule hameau de Baranof. Une majestueuse cascade se jette directement dans la mer. Il y a un ponton tout neuf que nous partageons avec des bateaux de pêche et quelques plaisanciers attirés par la présence de sources thermales. A peine à terre, remontant le sentier menant aux maisons, sur la gauche une petite bâtisse offre aux visiteurs plusieurs baignoires d'eau très chaude avec vue sur la baie. Tout est impeccable.
Un peu plus loin un chemin de bois mène aux maisons et à la cascade.
En tournant vers la droite le chemin devient plus escarpé et une bonne marche mène à deux bassins aménagés en pleine nature avec vue sur la cascade qui gronde au dessous. Un vrai délice: alors qu'il fait frisquet dehors on plonge dans l'eau fumante. Relaxation assurée.
En continuant le sentier c'est un nouveau spectacle enchanteur: un grand lac de montagne et son déversoir qui va plus bas alimenter la grande cascade. Nous y retrouvons un groupe de pêcheurs et leurs deux guides venus depuis le lodge voisin taquiner la truite.
RED BLUFF BAY
Progressant toujours vers le Sud dans Chatham Strait, nous nous présentons à l'entrée de Red Bluff Bay qui tient son nom des collines dénudées laissant apparaître la terre rouge à droite de la passe. Du côté gauche une grande et haute cascade plonge directement dans la mer.
Le chenal est étroit et tortueux réclamant une attention particulière mais une fois à l'intérieur c'est un long fjord étroit qui mène à une large vasque d'eau immobile sans une seule ride. Le delta d'une rivière occupe tout le fond et il faut prudemment l'éviter car il découvre à marée basse occupant une bonne moitié du bassin.
Sur notre gauche un magnifique yacht s'est amarré perpendiculairement au rivage abrupt au pied même d'une cascade. Nous verrons plus tard que des spots puissants éclairent la cascade la nuit et l'effet est superbe même si pour une fois le côté sauvage du lieu a été un peu oublié.
Nous irons en annexe remonter la rivière puis à pied faire une très longue balade vers l'amont où des sommets enneigés nous surplombent. Bien entendu les saumons sont là en quantité souvent à l'état de cadavres en décomposition avancée et les ours s'en régalent. Nous les approchons de très près et restons à les observer un long moment.
BARANOV CÔTE OUEST 2019 (VARIANTE)
La saison 2019 nous a vu remonter encore une fois vers le Nord depuis la région de Vancouver.
Impressionnés par la beauté de l'Île de Baranov en 2018 , nous nous étions jurés d'y retourner pour en faire le tour complet , cette fois ci en passant par la côte ouest exposée à la houle du large.
Ce fut un excellent choix car même en choisissant le large , la côte est si découpée et sculptée par les fjords et les passages multiples qu'il est pratiquement toujours possible de naviguer en eaux calmes . Les mouillages sont aussi sûrs que sur la côte Est mais les rencontres ici sont vraiment rares.
C'est à cette occasion que nous avons pêché nos plus gros halibuts (60 kg) et fait le plein de crabes et de crevettes.
En route pour Sitka.Rares passages au "grand large". A Magoun island on pêche le "rock fish". Notre annexe "troller" a peu de succès avec les saumons.
La côte Ouest est découpée et les mouillages encombrés de kelp comme le montre le sondeur de l'annexe.
La hatchery de Port Walter (Sud Baranov côte Est). Raymond tente de déchiffrer le numéro de marquage d'un saumon (le biologiste parait inquiet)! Une énorme conserverie se trouvait sur cette pointe il y a moins d'un siècle: tout a disparu. Le temps a fait son oeuvre.
PETERSBURG
Nous quittons le Chatham Strait pour le Frederick Sound orienté vers l'Est et qui nous mène à Petersburg à l'entrée Nord des Wrangell Narrows.
C'est un long trajet sans difficulté particulière où nous rencontrons plus de baleines à bosse que de pêcheurs ou de plaisanciers.
Petersburg vaut vraiment qu'on s'y arrête. A l'écart du trafic touristique de ses voisines Juneau, Wrangell et Ketchikan il n'y a pas de paquebots à y faire escale mais uniquement quelques navires de plaisance et surtout une importante flotte de pêche qui alimentent les 4 grandes canneries installées depuis plus d'un siècle. Le port de pêche est florissant.
Petersburg, fondée à la fin du 19ème siècle par Peter Buschmann, un Norvégien, mérite amplement son nom de "Petite Norvège" car de nombreux scandinaves s'y sont installés par la suite donnant à cette petite ville de 3000 âmes un cachet unique.
Nous nous installons pour quelques jours dans le port au milieu des purse-seiners et autres trollers ou gill-netters. Et visitons ses rues charmantes dont certaines ici aussi sont des passerelles de bois longeant de vieilles maisons un peu branlantes.
Nous visitons plusieurs boutiques et un jour je décide de m'acheter une belle chemise chaude. En allant payer la patronne me demande si j'ai une voiture pour visiter les environs (Petersburg est installée sur un île mais une route en fait le tour).
Elle me propose une voiture et je l'interprète comme une proposition pour nous amener en taxi privé. Pas du tout, voilà qu'elle me tend un trousseau de clefs et m'indique juste le parking où je pourrais trouver sa voiture. On croit rêver mais du coup nous passons la journée à visiter l'île au volant d'un gros 4x4 comme ils en ont tous en Alaska "the last Frontier"!
LE CONTE GLACIER
Jean Pierre dit "toubib" n'avait pas en l'occasion de contempler le spectacle impressionnant d'un glacier se jetant dans un fjord (tidewater glacier).
A quelques milles de Petersburg se trouve le dernier glacier de ce type au sud de l'Alaska. Il n'a pas très bonne réputation si j'en crois les ouvrages maritimes et les guides: moraine difficile à franchir, long fjord sinueux encombré de glaces...
J'examine sérieusement les cartes et ne suis pas particulièrement impressionné, mais le mieux c'est d'aller voir sur place.
Ce n'est pas le plus facile c'est certain mais c'est l'un des plus beaux et des plus actifs. Ce glacier est tout simplement magnifique!
Dès la moraine franchie nous tombons sur un champ de glaçons assez faciles à négocier mais en montant ils se font plus nombreux et compacts. Heureusement la visibilité est excellente et depuis le flying bridge la route est évidente soit d'un bord soit de l'autre du fjord si bien que parvenons tout près du front vertical qui nous domine.
En son centre il y a comme une caverne bleue avec un pont de glace qui la surmonte. On voit bien que cette partie du glacier est fragile car des blocs en tombent régulièrement dans un bruit de tonnerre. Je ne sais pourquoi mais à un moment j'ai remis en route pour m'éloigner pressentant un danger imminent. Dans la minute qui suit c'est tout un pan de l'ensemble du front qui tombe et nous saisit d'effroi. Surpris j'en oublie de prendre une photo!
Impossible d'apprécier l'énormité de la chose mais c'est comme un immeuble qui disparaît dans les profondeurs puis resurgit au ralenti à une altitude considérable puis retombe à nouveau. Très impressionnant. La vague nous atteint, une houle heureusement amortie par les innombrables glaçons déjà présents à la surface.
Je n'avais jamais assisté à un tel spectacle ni en Alaska ni même dans le Sud.
Avec le recul des glaciers on navigue souvent en zone non-hydrographiée et, pire, dans le glacier lui-même.
ANAN CREEK
Pour atteindre Wrangell il est impossible de descendre vers le sud à partir de Le Conte Glacier car il faudrait alors traverser le delta de la rivière Stikine en empruntant le Dry Strait qui comme son nom l'indique est peu profond pour ne pas dire presque sec! Stikine River vient du coeur de la British Columbia, alimentée par de multiples glaciers elle charrie une masse importante de sédiments qui forment son delta. L'eau en est complètement opaque.
Nous passons de nouveau devant Petersburg et empruntons les fameux Wrangell Narrows qui sont parfaitement navigables et pas si étroits mais sujets aux courants de marée: encore une fois il faut se présenter à l'heure! Le balisage extrêmement précis rend ce passage aisé.
Nous passons devant Wrangell sans nous arrêter et embouquons une autre bras de mer étroit et spectaculaire, le Blake Channel qui débouche dans la baie où se trouve Anan Creek. Ce jour particulier Blake Channel est admirable: pas une ride sur l'eau pour brouiller le paysage qui se reflète à la perfection. Nous naviguons à l'extrême ralenti pour ne pas casser le miroir. Les rives que nous longeons sont dédoublées. Nous imaginons des figures monstrueuses, des personnages mystérieux et imaginons comment en se penchant à angle droit on peut inventer les totems. C'est la symétrie qui est fascinante.
Il est tard, le soleil va bientôt se coucher, nous mouillons dans St John Harbor pour la nuit.
Anan Creek est un site privilégié et d'ailleurs protégé car durant l'été il faut obtenir la permission d'y accéder à Wrangell. Mais en cette année 2018 nous sommes le 22 septembre et il n'y a plus personne. Habituellement il reste un ranger dans la maison en bois construite sur un radeau au nord du mouillage, pas cette année.
Le site est exceptionnel car la mer pénètre par un étroit chenal dans un immense lagon où elle serpente en suivant le lit de la rivière puis pénètre dans la forêt. Tout ce qu'il faut pour la remontée des saumons et la rencontre des ours bruns. Beaucoup d'oiseaux nichent autour. C'est un parc magnifique avec des sentiers balisés et une plateforme d'observation.
Cette année nous ne verrons pas d'ours mais lors de mon premier passage en Août 2011 nous avons pu les observer pendant des heures attrapant les poissons au vol pour se nourrir et nourrir leurs petits.
KETCHIKAN
Nous continuons notre descente vers le sud et la frontière canadienne à travers les chenaux tranquilles de l'Inside Passage.
A 6 milles au nord de Ketchikan, à la nuit tombante nous mouillons dans Refuge Cove. Déjà depuis quelques milles, naviguant dans les Tongass Narrows, le paysage avait changé: de nombreuses maisons bordent le chenal et la circulation est dense. Il y avait bien longtemps que nous n'avions pas vu ça.
Nous apercevons un beau voilier en aluminium à l'intérieur de la baie encombrée par des marinas où nous n'osons nous aventurer. Le matin tôt le voilier nous tourne autour et nous voyons son nom: Zazie, immatriculation: Nouméa. A bord les Garioud et leurs deux enfants que nous recevons chaleureusement sur Jade pour le breakfast. Nous nous connaissons bien sûr mais ce sont plutôt les parents avec qui nous sommes amis depuis longtemps.
Un bateau solide qui a déjà pas mal de milles au compteur dont une partie dans le grand Sud! Ils vont hiverner ici, ce qui est un très bon choix, et nous nous reverrons.
Le lendemain nous repartons pour un court trajet. Il y a beaucoup de trafic et des ferries traversent le chenal: ils vont à l'aéroport international, sans doute un des rares au monde à ne pas être accessibles par une route. La ville est située sur la rive opposée et le projet de pont à 400 millions de dollars a été abandonné.
A Ketchikan nous nous installons dans Bar Harbor Marina un port de pêche très pratique, un peu loin du centre ville beaucoup plus touristique. Il faut dire que Ketchikan est le port d'entrée sud de l'Alaska et que de nombreux et gigantesques paquebots y font escale tout l'été. Fin septembre c'est fini et nous serons presque seuls pour profiter des rues pittoresques du centre historique. Boire un verre avec les pêcheurs au Surdough Bar.
Surdough c'est le petit nom donné aux plus courageux des pionners: chercheurs d'or, pêcheurs au large, trappeurs....En Français c'est le "pâton" qui sert à faire monter la pâte à pain...Drôle, non???
L' agglomération est importante peuplée d'environ 13000 habitants. La pêche représente une bonne part de l'activité, avec le tourisme et la construction navale: Ketchikan a mis à l'eau récemment deux magnifiques ferries dernier cri pour l'intracoastal waterway qui dessert l'ensemble de l'Alaska depuis Bellingham (Washington) jusqu'à Kodiak et Dutch Harbor.
Le quartier le plus typique est celui de Creek Street autrefois mal famé, bordé de maisons closes et aujourd'hui touristique avec ses maisons anciennes toutes restaurées et transformées en boutiques et restaurants.
La rivière qui passe en plein milieu est remplie de cadavres de saumons et l'odeur est pestilentielle. On ne voit pas d'ours mais ils ne doivent pas être bien loin.
De nombreux totems témoignent de la culture indienne très présente dans tout l'Alaska et j'apprends que à 20 milles au Sud sur Annette Island se trouve la seule réserve indienne de tout l'Alaska : Metlakatla.
Nous profitons de tout ce que peut nous offrir Ketchikan pour faire une sérieux ravitaillement et faire le plein de fuel pour un prix plus intéressant qu'au Canada voisin.
A cette occasion il m'arrive d'ailleurs une petite aventure qui aurait pu avoir des conséquences ennuyeuses comme toujours dans ces circonstances.
J'avais fait la veille quelques emplettes du côté de Creek Street.
Le dock de fuel est loin du centre vers le sud de la ville. Il pleut fort comme bien souvent à Ketchikan une des villes les plus arrosées des USA. Au moment de payer, alors que les pleins sont faits, impossible de retrouver ma carte de crédit. L'employé est en colère. Je fouille dans tout le bateau, impossible de la retrouver. Je refais mon emploi du temps de la veille et me souviens l'avoir sortie pour payer mes achats. Par chance je retrouve adresse et numéro de téléphone sur l'emballage. J'appelle la propriétaire qui est dans sa boutique, en plein milieu de la matinée. Elle ne fait ni une ni deux, ferme sa boutique, affiche une pancarte "back soon" et la voilà qui me ramène ma carte à domicile. Elle a eu droit à un polo Jade et à ma reconnaissance éternelle!
La gentillesse des gens est une caractéristique de l'Alaska "the last frontier"!
Ketchikan. Porte d'accès à l'Alaska. Aéroport international. Nous accueillons Michel.Noria de paquebots gigantesques. Le soir plus de touristes: on se retrouve au Surdough Bar.
CROISIERE A PARTIR DE KETCHIKAN (VARIANTE 2019)
MISTY FJORDS , PRINCE OF WALES ET DUKE ISLANDS
Si je vous dis que je suis "fou de l'Alaska" pour copier Salvador Dali et son chocolat Lanvin, vous n'aurez pas de mal à me croire.
En 2019 nous y retournions pour la troisième fois à bord de Jade et 2020 se prépare déjà.
Après, pour regagner la très belle côte Est (USA et Canada et Groenland), aurais-je le culot de tenter le passage du NW qui me ferait gagner quelque 4000 milles?
Ca commence dans la tête: arriver à se persuader que c'est possible.
Ce ne serait pas la première fois que je tenterai l'"inaccessible" , pour moi bien sûr car bien d'autres l'ont tenté et réussi, mais c'est certain qu'il faut une forte détermination, l'équipage ad hoc et surtout le bateau. Le problème c'est la glace évidemment; il y a des années avec et des années sans. Et puis il faut prendre son temps, savoir et pouvoir attendre que la route se dégage.
Bref, j'ai de quoi réfléchir et continuer à rêver!!!
Tout ça pour dire que l'an dernier nous avons continué à découvrir l'Alaska , tellement immense.
Bien naturellement nous avons revisité les plus beaux coins que nous avions explorés précédemment, je pense à Lituya Bay, Elfin Cove et la si belle Baranov Island.
Mais nous ne connaissions ni les célèbres Misty Fjords, ni l'île de prince of Wales elle aussi très recherchée , mais très facile d'accès, ni la petite et ravissante Duke Island franchement à l'écart des routes classiques.
Pour un touriste de base visiter les Misty Fjords et Prince of Wales est vraiment très simple au départ de Ketchikan: nombreux ferries rapides, ou hélicoptères et hydravions.
Un ferry régulier relie Ketchikan à Prince of Wales Island . Cette île présente un réseau routier impressionnant, le plus développé de tout l'Alaska. Tout simplement parce que le relief y est moins accidenté et montagneux et que du coup les forestiers ont percé de nombreux accès aujourd'hui utilisés comme routes le plus souvent en terre battue.
A ce sujet je voudrais faire une petite remarque. En Alaska de manière générale il y a assez peu d'exploitations forestières par comparaison avec la Colombie Britannique. Mais il faut bien noter aussi que ces exploitations se font le plus souvent sur terres coutumières appartenant aux "natives". Les lois qui les régissent ne sont pas celles qui s'appliquent au droit commun. Ceci explique sans doute cela.
C'est un peu dommage car la nature paie un lourd tribut même si les forêts repoussent spontanément: il n'est pas rare dans ces régions de voir des pans entiers de montagne complètement rasés. Et pour des décennies.
PRINCE OF WALES ISLAND
Craig et Klawock . Un des deux ports est plus "native" que l'autre. A Klawock les voitures deviennent vertes comme la végétation autour.
Plusieurs ports de pêche jalonnent la route autour de Prince of Wales Island .
La plupart du temps ils sont la propriété de tribus indiennes.
Craig sort du lot: marina moderne et bien équipée. Un supermarché permet de se ravitailler facilement. Plusieurs restaurants et shipchandlers nous accueillent.
Klawock, à quelques milles au Nord est au contraire un port quasi à l'abandon. Personne dans les rues, des bâtiments en ruines. Des véhicules abandonnés jonchent les accotements de la route.
Une rumeur nous parvient depuis un vieux hangar. Nous jetons un oeil par une porte bancale: toute la tribu s'est donné rendez-vous pour un jeu de Loto ....
La prochaine escale était pour Hydaburg, un charmant petit port de pêche, ici aussi manifestement propriété d'une tribu indienne, les Haïdas venus de l'ïle canadienne de Queen Charlotte.
La marina qui nous accueille est comme neuve mais presque vide à l'exception de deux gros remorqueurs pour la compagnie forestière et de petits bateaux de pêche à moteur dans une état lamentable, certains sur le point de couler, remplis d'eau de pluie!!!
Un seul senneur est visible appartenant certainement au chef que nous verrons à plusieurs reprises venir contempler ses employés en train de préparer le bateau pour sa nouvelle campagne: il tient difficilement debout tant il est obèse et reste la plupart du temps assis sur un tabouret ou dans les cuirs profonds de son énorme Pick-Up rutilant.
Au fond du port la mer est constamment agitée par les sauts des milliers de saumons qui viennent là finir leur vie en se reproduisant.
Un petit cours d'eau et une belle cascade nous fascinent: c'est la vraie vie, vraiment naturelle, mais dure à supporter. Ces saumons se blessent à tenter de remonter le fort courant. Beaucoup meurent d'épuisement avant d'avoir pu franchir les rapides. Ca sent très fort la mort. Les habitants choisissent leur poisson selon l'espèce la plus recherchée et c'est simplement pour recueillir des oeufs. Notre Raymond fait un carton, peu importe que le poisson soit attrapé par la queue le ventre ou un oeil, l'important c'est que ce soit une femelle! Nous salons les oeufs et nous délectons à les déguster souvent au petit déjeuner. Ce qui est ahurissant c'est de voir combien de dizaines de millions de saumons morts jonchent les berges des rivières, c'est un régal pour les ours et les oiseaux et puis c'est la Nature dans sa splendeur et sa cruauté.
Les beaux paysages de Prince of Wales Island par temps de brouillard. Et puis des crabes en veux tu en voilà!
DUKE ISLAND
Une île de rien du tout, tout au sud de l'Alaska , d'où on distingue sans peine Queen Charlotte de l'autre côté de la frontière.
Mais deux mouillages exceptionnels (Pond Bay et Judd Harbor) qui nous ont fait dire: "nous reviendrons"!
MISTY FJORDS
Un gigantesque fjord de forme semi-circulaire borde l'Île de Revillagigedo sur la côte ouest de laquelle se trouve la ville de Ketchikan , son port et son aéroport internationaux.
Ceci explique le nombre important de touristes qui visitent ce splendide Monument National Américain.
Se jetant dans ce fjord principal de multiples fjords accessoires dessinent une véritable toile d'araignée.
Certains sont extrêmement spectaculaires avec des parois de granit verticales, des cascades bondissantes, des dômes rivalisant avec le Capitan de Yosemite National Park.
Bref, un must de l'Alaska que nous avons découvert en 2019.
D'après son nom il semblerait que le brouillard règne en maître dans cette région: pour nous c'est ciel bleu d'un bout à l'autre.
Mon très vieux copain Michel nous a rejoint et nous partageons ensemble des moments délicieux. Il faut dire que nous ne nous connaissons que depuis 45 ans à peine, mais c'est comme si c'était hier!
Il est chasseur mais là il découvre plutôt la pêche au crabes, crevettes et rock fish. Il attend de revenir à bord pour découvrir le monstrueux halibut, le roi des poissons.
A l'entrée des Misty Fjords Eddystone Rock, une aiguille remarquable. Les falaises et les dômes de granit se succèdent.
FOGGY BAY
Les autorités américaines autorisent un dernier arrêt à Foggy Bay sans débarquer à terre avant de passer la frontière avec le Canada en direction de Prince Rupert.
Ce sera donc notre dernière escale en Alaska et nous en gardons un excellent souvenir. Ce mouillage n'est pas évident quand on détaille la carte marine: un ensemble d'îles limitant un bassin assez vaste mais accessible par un chenal extrêmement étroit et peu profond. Nous y allons prudemment à très petite vitesse, tout le monde est aux aguets, mais il y a toujours 5 m d'eau et nous mouillons dans un bassin absolument calme dans 10m d'eau. Il y a bien sûr du brouillard le matin, les sons sont assourdis, l'ambiance est magique. La pêche au Dungeness crab excellente!
Ce sera notre dernière vision d'un Pays vraiment fabuleux.
Merci encore aux amis Proner, à "Toubib" et à mon vieux pote Charlie à qui j'ai emprunté quelques photos pour compléter ma collection.