Il y a en Alaska une Île
ou plutôt un ensemble de quelques îles : l'Archipel de Kodiak.
Vous dire que j'en ai rêvé est un doux euphémisme. Comme pour le Sud et le Horn, j'en rêvais et en même temps j'en éprouvais une vraie crainte.
J'avais vu des images et des videos. L'une d'elles montrait la vie des pêcheurs de Kodiak, sans doute en hiver et sans doute à la pêche au King Crab: effrayant. Les tempêtes se succédaient, le froid, la mer grise, ces types courageux courbés sous les embruns gelés.
Et puis ce fameux film avec Kevin Costner, "Coast Guards" ( "the guardian") en 2006...Très, très peur.
Mais je savais aussi que l'Archipel recelait des splendeurs et une infinité de mouillages sûrs où le bateau trouverait la paix. Le tout c'était d'y arriver.
Au total j'y suis allé 4 fois et Jade y aura hiverné en 2017 bien à l'abri dans le grand port de pêche. Chaque fois sans réel problème de navigation mais toujours en été. Je sais que ça a soufflé fort durant tout l'hiver 2017/2018, mais Jade n'en a pas vraiment souffert.
On arrive à Kodiak soit par l'Inside Passage depuis Seattle ou Vancouver, c'est le plus facile. Soit directement depuis Hawaï (2300 milles), soit comme nous récemment en venant du Japon et en suivant l'arc des Kouriles et des Aléoutiennes. Certains enfin y arrivent après avoir franchi le fameux passage du Nord Ouest depuis l'Atlantique Nord. Mais une chose est certaine: bien peu de plaisanciers dans ce monde de pêcheurs.
Kodiak est une grande île de 9000 km2 (soit exactement la moitié de notre Caillou, ou bien la superficie de la Corse). Elle se situe au sud de la Péninsule d'Alaska dont elle est séparée par un long détroit aux dangereux courants (Shelikof Strait) qui mène au vaste Cook Inlet au fond duquel se trouve Anchorage, capitale économique et plus grande ville d'Alaska avec ses 300000 habitants (Juneau, la capitale administrative, est bien plus petite, à peine 32000 habitants et la seule capitale d'un Etat américain à n'être pas accessible par la route!)
L'Etat d'Alaska est gigantesque: presque 4 fois la France et à peine 700000 habitants.
Un peu d'histoire
Pour faire vite, c'est Vitus Bering en 1741 qui débuta l'exploration de ces territoires pour le compte de l'Empire Russe et 50 ans plus tard la première colonie s'implantait dans le seul but de la traite des fourrures en particulier de loutres.
Le 30 mars 1867 à Sitka (capitale de l'Alaska russe) la bannière étoilée, le Stars and Stripes, était hissée sur le Castle Hill car l'Amérique venait d'acheter l'Alaska pour la somme ridicule (avec le recul actuel) de 7.2 millions de dollars.
Le Secrétaire d'Etat William Seward, agissant contre l'opinion publique américaine ( "Seward icebox", "Seward folly"...) négocie avec la Russie l'achat de ces millions de km2 de terres glacées. Ca rappelle notre Louisiane ou bien encore le Canada (ces "quelques arpents de neige" disait Voltaire!).
Quand on voit aujourd'hui les immenses ressources du 49ème état : pétrole, mines, pêche, tourisme....on réalise combien certaines intuitions se révéleront géniales dans le futur.
Les russes n'ont pas été tendres, c'est le moins qu'on puisse dire, avec les populations locales regroupées aujourd'hui sous le vocable "native people".
De nombreuses ethnies composent ces peuples rencontrés depuis les Aléoutiennes et jusqu'en Colombie Britannique: Aléoutes, Tlingits, Yupiks, Haïdas, Tsimshians...Difficile de s'y retrouver d'autant que le métissage avec les Russes ou les Scandinaves leur donne souvent un aspect physique de type européen.
L'Eglise orthodoxe russe a laissé d'importantes traces puisque la grande majorité de ces peuples pratique cette religion comme en témoignent les belles églises aux coupoles dorées retrouvées un peu partout sur notre route.
Toujours est-il que leur culture survit un peu partout, ils jouissent de nombreux avantages en matière foncière ou concernant la pêche (à la baleine par exemple). Je les ai trouvés heureux de vivre et plutôt fiers d'être Américains.
La ville de Kodiak
L'Île de Kodiak abrite un des plus grands ports de pêche des USA, en deuxième position après Dutch Harbor plus à l'Ouest dans les Aléoutiennes.
C'est aussi la plus grande base de Coast Guards du Pays.
Du coup la petite ville de Kodiak est peuplée d'environ 7000 habitants, la moitié environ de la population totale de l'Île. On y trouve tout ce qu'on veut en particulier lorsqu'on est en escale technique du fait du nombre impressionnant des bateaux de pêche durant l'été. Les supermarchés sont parfaitement achalandés, tout comme les liquor-stores ou nombre de restaurants et bars.
L'accès par les airs est parfois compliqué par de longs épisodes de brouillard interdisant tout atterrissage. Du coup le ferry peut-être une solution élégante car il dessert très régulièrement l'ensemble de la région depuis Dutch Harbor jusqu'à Homer ou Seward dont Anchorage est accessible par la route ou le train.
De multiples conserveries s'alignent sur le bord de mer.
La ville elle même est jolie avec ses maisons de style nordique souvent colorées.
Une très ancienne église orthodoxe côtoie le musée Alutiiq et le très beau centre consacré à la biologie marine.
Le 4 juillet, fête nationale américaine, voit toute une foule très bigarrée se rassembler pour défiler.
Le tourisme est très nature, surtout orienté vers la pêche. Il existe de nombreux lodges accessibles par bateau ou floatplanes. Ces lodges sont dédiés pour la plupart à la pêche, certains aussi à la chasse. Partout le safari photo à l'ours de Kodiak est très recherché, bien entendu.
Ceci étant l'île est loin d'être envahie par le tourisme et les paquebots qui y font escales sont rares.
En plein milieu de la ville un lac sert de piste d'envol pour de petits hydravions. Nous sommes en Alaska et c'est sans doute le moyen de transport le plus commun comme nous le verrons tout au long de notre voyage jusqu'à Vancouver. N'empêche que ça surprend un peu le visiteur européen qui débarque.
Au cours de notre long séjour à Kodiak nous avons pu explorer la plupart des baies profondes qui creusent ses côtes.
A notre arrivée d'abord en juillet 2017 avec mes amis Raymond, Véronique et Laurent. Puis avec Claude Chardola, Claudine et Alain Caradec venus de Patagonie en Août 2017 et aussi avec toute ma famille réunie pour l'occasion en juillet 2018.
Amis et famille à Kodiak. (Véronique,Laurent, Raymond et moi, les Caradec et Claude, la famille sur le tarmac de l'aéroport de Kodiak) Remarquez l'élégante voiture de location pour accueillir les Caradec!
EN CROISIERE AUTOUR DE KODIAK
Mais c'est en juin 2018 que j'en ai fait un tour complet détaillé accompagné par deux locaux, pratiques du lieu comme on dit!.
J'ai de la chance. Dès notre arrivée le 14 juillet 2017 nous faisions la connaissance de Joël et Martine Chenet qui devaient devenir par la suite de vrais amis. Joël est un Chef, compagnon du Tour de France, installé aux USA depuis une quarantaine d'années. Il a exercé dans les plus grands hôtels avant d'émigrer en Alaska qui le fascinait par la beauté de ses paysages et aussi pour la pêche et la chasse dont il raffole.
Voilà plus de 20 ans qu'il vit à Kodiak. Sa maison a table ouverte et je m'y suis régalé de nombreuses fois.
Avec Joël le Chef cuistot préparant un Sokeye. Joël et Martine et la traditionnelle "soupe champenoise".
Son meilleur ami c'est Fred. Un grand gaillard un peu sauvage qui vit avec son chien dans une maison en bord de mer. Fred a été pêcheur de King crabs pendant 20 ans en Mer de Béring. Déjà ça en impose: imaginez ces bateaux lourds chargés d'énormes casiers qu'on mouille par 200m de fond dans une mer souvent déchaînée, dans un froid glacial en plein hiver. Le problème avec ces bateaux c'est justement le gel: l'eau de mer monte à bord et ses embruns gèlent immédiatement alourdissant les superstructures, menaçant l'équilibre du navire. Les accidents ne sont pas rares. Il faut en permanence piquer la glace. Fred me raconte que les morues remontées dans les casiers en même temps que les crabes sont congelées en quelques instants.
Aujourd'hui Fred s'est reconverti en guide de pêche et de chasse à l'ours.
Avec Fred...Fred passe en moyenne 8 heures tous les jours les jumelles vissées sur les yeux: il observe la nature.
L'ours brun de Kodiak, gigantesque, vit ici en nombre, probablement 3000. Il est bien entendu protégé et sa chasse strictement réglementée.
Il faut dire qu'en Alaska j'ai été impressionné de voir à quel point les règles de pêche et de chasse sont strictes et parfaitement respectées.
Les stocks sont scientifiquement mesurés et la ressource préservée année après année.
Les State Troopers (équivalents de nos Gendarmes Maritimes) avec leurs bateaux d'intervention rapides sont là pour contrôler les prises et les permis. Tout pêcheur, professionnel comme amateur, doit porter sur lui son permis.
En Alaska pas d'élevage, il n'y a que du poisson sauvage!
Nous naviguons autour de Kodiak dans le sens des aiguilles d'une montre: côte Sud Est pour commencer et retour par le détroit de Shelikof et la côte Nord Ouest.
OLD HARBOR
Première escale. Un "native village" comme nous en visiterons plusieurs par la suite.
200 habitants, un petit port très abrité. Quelques bateaux de pêche.
Les maisons sont modestes et mal entretenues. Quelques épaves de voitures ou de quads gisent ça et là envahies par de hautes herbes. Au milieu de tout, une splendide église orthodoxe toute bleue avec ses trois coupoles et plus haut le cimetière et ses croix à trois branches dont une oblique.
Les noms sont souvent russes ou scandinaves .
Le cadre est beau mais l'ensemble ne respire pas vraiment la gaieté. Mais plutôt l'ennui.
THREE SAINTS HARBOR
Nous filons vers Three Saints Harbor. C'est là que Shelikof installa le premier établissement russe en Alaska en 1784. Il n'en reste strictement aucun vestige.
Par contre la Baie est magnifique dominée par un pic enneigé point culminant de l'île de Kodiak..
Nous nous attardons à visiter en annexe toutes les anses et tombons nez à nez avec un couple de jeunes cerfs, puis un splendide Red Fox qui nous regarde avec curiosité.
Sur l'estran, à marée basse, les ours viennent labourer le sable vaseux à la recherche de coquillages: les saumons ne sont pas encore là et les baies rouges toujours vertes en ce début d'été. Ils sont omnivores et se régalent de tout, aussi sommes nous très prudents: on parle fort et nous sommes tous armés de canons à poivre le répulsif le plus puissant.
ALITAK
Une assez longue croisière côtière nous amène à la pointe Sud Est de Kodiak exactement dans Lazy Bay tout près du Cap Alitak.
Une importante conserverie de saumon appartenant à la chaîne Ocean Beauty se trouve là sous la direction de Woody Knebel un copain de Joël et Fred.
L'usine est immaculée et Woody y a installé un petit musée car elle a été construite il y a un siècle. Woody est un homme remarquable, luttant avec détermination contre une maladie neurologique dégénérative très invalidante. Il a écrit un ouvrage de référence sur les pétroglyphes Alutiiq du Cap Alitak.
Il s'agit des rares traces gravées dans le granit de la vie des tribus préhistoriques installées depuis des millénaires dans cette région.
Sous une pluie battante nous partons en annexe vers cet sorte de doigt qui pointe vers le large et enserre une vaste lagune encombrée de kelp.
C'est une longue promenade sur des galets lissés par la houle mais notre courage est récompensé quand nous découvrons ces dizaines de dessins représentant des hommes, une femme, des animaux, baleines, orques, ours. Il faut vraiment fouiller car selon l'orientation du soleil certains dessins échappent à la vue.
Devant nous, au pied du Cap, une belle flottille de senneurs lance ses immenses filets, mais nous savons que cette année les saumons sont très en retard en particulier les Sokeye ou Red Salmons, très recherchés pour leur chair rouge succulente.
Les tenders attendent un peu au large pour récupérer d'un coup d'aspirateur la récolte de plusieurs senneurs afin d'approvisionner la cannery voisine.
Je ne me suis jamais lassé de ce spectacle très souvent répété pendant notre long séjour en Alaska. Un skiff très puissant retient le filet tandis que le bateau décrit un cercle parfait pour emprisonner un banc de saumons repéré du haut du nid de pie. C'est au tout dernier moment lorsque le fond du filet est près du plat bord que le capitaine sait si la pêche est bonne ou médiocre. Ils ont coutume d'appeler cette poche "the money wallet", le porte monnaie et parfois il déborde comme nous le verrons plus loin.
OLGA BAY
Olga Bay n'est pas loin de Lazy Bay, mais mérite le détour. On y accède par un passage très étroit et sinueux où il est difficile de savoir avant d'y être quel va être le sens du courant car la marée remplit progressivement cette immense étendue d'eau saumâtre et les étales de marées ne correspondent jamais avec celles des tables officielles aussi bien à la montée qu'à la descente. Il y a au moins 2 heures d'écart mais cela dépend aussi du marnage (vives eaux ou mortes eaux). Nous avons un fort courant avec nous et j'ai peur de déraper dans les virages serrés, mais tout se passe bien.
Bref, nous y entrons et nous dirigeons vers l'ancienne cannery en ruines.
Bâtiments en tôle rouillée, ancien ponton délabré. Il reste des moteurs, des treuils, de nombreux outils laissés là à l'arrêt de l'usine.
Image étonnante de passagers embarquant les pieds dans l'eau! C'est en Alaska et nulle part ailleurs!
Plus loin nous remontons une autre rivière et tombons sur un Weir gardé par un couple de biologistes venus passer les mois d'été pour compter les saumons. De leurs chiffres, additionnés à ceux des dizaines d'autres barrages répartis dans toute la région, dépendent l'ouverture ou non de la pêche au saumon
Cette année 2018 est très pauvre en Sokeye (red salmons). Peut-être en relation avec la température, plus basse qu'à l'ordinaire, de l'eau des rivières. L'enneigement a été très important et on constate un net retard de la fonte des neiges sur les sommets.
HARVESTER ISLAND
Nous contournons prudemment la côte ouest de Kodiak exposée aux vents violents et qui ne présente aucun mouillage digne de ce nom.
Et remontons de l'autre côté dans le Shelikof Strait bien calme. Nous croisons une famille d'orques qui nous accompagnent pendant des heures. Un régal pour les yeux et les photographes du bord (tout le monde en fait!).
Le mâle, chef de famille, est énorme. En plongée, il annonce systématiquement son approche de la surface par l'apparition, comme au ralenti, de sa dorsale géante qui sort progressivement de l'eau à la manière du snorkel d'un sous-marin. C'est tout juste si il ne nous dit pas: "PHOTO!"
Au coucher du soleil nous mouillons devant Harvester Island.
Cette escale est exceptionnelle, Joël nous avait avertis.
Dans les années 50 une famille, les Fields, s'est installée ici pour la pêche au saumon l'été.
Les trois fils ont pris la relève: chacun possède soit une île soit une belle propriété à terre. Ils sont tous titulaires, eux, leurs femmes et leurs propres enfants d'un nombre important de concessions (2 par personne soit 16 actuellement) de pêche dits "set nets".
Il s'agit de filets tendus à la perpendiculaire du rivage vers le large en plein travers du passage des saumons qui ont pour habitude de remonter vers leur rivière de naissance en longeant les rives.
Aujourd'hui les frères Fields sont très riches mais ils continuent à vivre à la dure participant au même titre que leurs employés à une pêche très physique.
Weston Fields, le plus âgé est un personnage étonnant: il a passé de nombreuses années en Israël, à Jerusalem, s'est passionné pour les premiers écrits en hébreu (les célèbres "manuscrits de la Mer Morte", premier siècle avant JC) dont il est devenu un des grands spécialistes mondiaux. On le réclame partout pour des conférences.
Sa belle-soeur Leslie Leyland Fields est une écrivaine américaine à succès. Une dizaine de livres dont quelques best sellers souvent teintés de religion. Nous l'avons rencontrée dirigeant de main de maître sa grande maison de Harvester Island remplie de pêcheurs saisonniers. Nous avons eu le bonheur d'y partager l'"afternoon tea"tous ensemble dans une ambiance cosy. Nous avons tout de même eu droit à un solennel "benedicite" en notre honneur.
Ils sont plusieurs dizaines de saisonniers venus de tous les états américains pour la saison du saumon, en gros de juin à Septembre. La pêche étant très contrôlée, les autorités décident des jours d'ouverture en fonction des migrations des saumons. Ces jours là les set-nets sont installés dès l'aube et jusqu'à la nuit. Ils sont relevés au moins trois fois par jour. C'est un travail éreintant.
Chacun des trois frères organise le travail pour son propre compte et les pêcheurs saisonniers sont nourris et logés chez eux dans de très bonnes conditions qu'on pourrait qualifier de familiales. La plupart reviennent d'ailleurs chaque année.
Chez Duncan et Leslie Fields (Harvester Island). Noter le ciré Guy Cotten porté par cette saisonnière comme tous les pêcheurs de Kodiak!
MUSH BAY/UGANIK BAY
Nous sautons d'un fjord à l'autre et rentrons dans Mush Bay. Le mouillage comme toujours est excellent et bien sûr absolument sauvage, pas de voisin.
Mais pour une fois nous savons que quelqu'un habite ici de manière permanente. Il faut imaginer un fjord immense enserré dans de grands massifs montagneux et au fond une sorte de plaine découvrant à marée basse parcourue par une rivière sinueuse où les ours viennent pêcher. Et puis dans un recoin à droite, quasi invisible du mouillage, une belle et grande demeure sur pilotis.
Nous sommes chez Jeanne Shepherd installée là depuis des décennies. Elle vit seule mais sa réputation dépasse les côtes de Kodiak. Elle a construit un véritable Eden: il y a des serres où poussent toutes sortes de plantes, et puis plusieurs jardins qu'elle se plaît à nous faire découvrir.
Son potager regorge de fruits et légumes de saison qu'elle va vendre au lodge voisin où elle fait la cuisine. Elle y va sur son propre bateau, c'est à une bonne dizaine de milles .
Elle s'est même installé un "banya" ou "onsen" des japonais: une grande cuve en bois dont l'eau courante venue de la source proche est chauffée par un feu de bois qui brûle en permanence.
Elle a un "boy friend" qu'elle rejoint de temps à autres et cette année pour leurs "vacances" ils vont tous les deux remonter la Yukon River en campant sur ses rives. Pas vraiment envie de quitter la région !!
TERROR BAY
En nous dirigeant vers Terror Bay , nous faisons une courte escale à East Point où mon ami Toby et ses deux étudiants pêcheurs saisonniers, a établi son set-net.
Toby comme de nombreux américains a plusieurs activités professionnelles: Professeur de Biologie Marine à l'Université d'Alaska, il devient pêcheur professionnel de saumons l'été et accessoirement Président fondateur du Musée Maritime de Kodiak.
Terror Bay n'a rien de terrifiant. Sur sa rive Nord une magnifique cascade plonge directement dans la mer.
PORT BAILEY
On passe entre l'île de Kodiak au sud et Afognak au Nord. Dans ce passage souvent agité de courants de marée se trouve un de mes mouillages favoris: Port Bailey. Très bien abrité par plusieurs îlots, une ancienne cannery occupe une bonne partie de sa rive sud. Complètement abandonnée elle a été rachetée par un couple, Rob et Anita, il y a quelques années. Ils pensaient la restaurer pour en faire un lodge. Mais le chantier est gigantesque. Du coup, ils reçoivent bien de temps en temps des clients (ou plutôt amis) qui leur donnent même un bon coup de main. Mais l'essentiel de leur activité c'est la vente sur internet de tout le matériel resté sur place, et c'est une vraie caverne d'Ali Baba: groupes électrogènes, postes à soudure, fours à vapeur pour la cuisson des conserves et même un magnifique camion comme neuf couvert d'inox rutilant.
Des kilomètres de bouts de toutes sortes sont transformés en objets décoratifs de matelotage souvent associés à du bois flotté. C'est un régal à chaque escale de partager avec eux leur passion. Et puis cette cannery a vraiment de la gueule avec ses longs bâtiments sur pilotis et sa couleur rouge Bordeaux la même que chez les Fields.
A quelques encablures les ruines du dernier élevage de renards isolé sur son îlot. Sur la plage une épave de senneur nous rappelle que le temps ici peut être effroyable même dans un mouillage bien abrité comme Port Bailey.
PORT LIONS
Port Lions est à une vingtaine de milles de Port Bailey dont il est séparé par Whale pass l'un des détroits les plus dangereux d'Alaska , en tout cas le siège des plus violents courants de marée. Il est hautement recommandé de s'y présenter à l'étale et si possible avec un peu de courant portant.
On tourne à droite en sortant et on arrive dans une baie ravissante où se trouve Port Lions. Derrière une impressionnante jetée en blocs de granit se trouve une des marinas les mieux protégées et la plus moderne de la région. Réservée aux bateaux de pêche ou de charter elle nous accueille sans problème le long d'un catway flambant neuf.
Par curiosité j'ai demandé au Capitaine du Port les tarifs pour Jade: 100 dollars la nuit, plus cher qu'à Kodiak. Mais j'ai failli tomber à la renverse quand il m'a annoncé le tarif à l'année: 1100 dollars. Autrement dit en 11 jours l'année est payée... Pas vraiment logique mais c'est le règlement, on ne va pas se plaindre. Pour un bateau de 40' c'est 520 dollars par an, un modeste 10 dollars la semaine pour être parfaitement abrité dans un cadre superbe. J'ai aussitôt fait passer le message!
Port Lions est un "native village" mais contrairement à Old Harbor ici tout est mignon et entretenu. De belles maisons dominent une baie magnifique surplombée par des sommets enneigés.
Cela tient à son maire notre ami Melvin Squartsoff, un natif bien européanisé.
Il tient le lodge et pendant toute la saison emmène ses clients pêcher dans Whale Pass. Pêche toujours miraculeuse : halibuts (flétans), saumons, rock fish, cods... A peine rentré ses deux employés réduisent les prises en filets, emballés sous vide et congelés, si bien que les heureux clients repartent chez eux à l'autre bout des USA avec des kilos de poissons tout juste sortis de l'eau.
Melvin prépare aussi de délicieuses conserves et fume lui-même son saumon.
OUZINKIE
A quelques milles un autre "native village" sur l'Île de Afognak à la très belle église orthodoxe. Une des rues de ce village paisible est en réalité une longue passerelle de bois dominant la baie, très pittoresque.
AFOGNAK ISLAND
KITOÏ BAY
Nous ferons plusieurs escales à Afognak Island, l'île située au Nord de Kodiak dont elle est séparée par un étroit passage.
Sa côte est très découpée au nord comme au sud, les mouillages sont excellents, mais c'est surtout la Baie de Kitoï qui mérite qu'on s'y attarde.
Là se trouve une grande hatchery (traduisez "écloserie" ou "nurserie").
Nous y ferons trois séjours et assisterons par deux fois à un spectacle vraiment exceptionnel..
Les hatcheries en Alaska font partie de la chaîne de contrôle du stock de saumons.
D'un côté aux embouchures des rivières on compte en permanence les saumons afin de déterminer les périodes d'ouverture de la pêche et d'un autre côté on produit des alevins de sorte que d'une année sur l'autre le stock reste identique de même que les prises de poissons sauvages.
Dans une hatchery on féconde des oeufs et on attend que les millions d'alevins ainsi produits soient suffisamment robustes pour affronter leurs 3 ans de croisière jusqu'à Hawaï et retour.
L'astuce c'est qu'évidemment ils reviennent tous sur leur lieu de naissance: la hatchery!
Mieux: les différentes espèces de saumon arrivent par vague, chaque espèce à une date différente : la sélection est automatique!!!
A la bonne saison c'est des millions de saumons prêts à se reproduire qui affluent à Kitoï. C'est très impressionnant de les voir sauter de tous côtés. Un système de barrières permet de les orienter vers l'entrée des bâtiments, une sorte d'échelle à saumons et on sépare les femelles des mâles. Anesthésiés électriquement, on ouvre le ventre des femelles et on presse celui des mâles pour arroser de sperme les oeufs qui sont immédiatement fécondés.
C'est un cercle vertueux s'il en est.
Par ailleurs il y a quelques privilégiés dans cette baie:
Les ours en premier: il faut les voir au bord du ruisseau qui mène à la hatchery attraper habillement d'un coup de patte le saumon qui passe. Ils adorent la peau et les oeufs et laissent le reste aux mouettes ou aux rapaces. Un spectacle dont on ne se lasse pas! L'ours "Kodiak" est le plus grand des ours bruns et le plus grands des carnivores terrestres. C'est une sous espèce, différente du grizzli commun qui lui ne vit pas sur l'Archipel de Kodiak.
Il peut atteindre 3.5m de hauteur pour 800 kg. Rapide il peut être dangereux dans certaines circonstances: femelle séparée de son ourson, animal surpris . C'est pourquoi il est recommandé de s'annoncer en faisant du bruit et de toujours porter une bombe de poivre qui est un répulsif puissant.
Les autres ce sont les pêcheurs: en effet une ou deux fois par saison les gérants de la hatchery autorisent les senneurs à venir pêcher devant les bâtiments.
Il faut imaginer une petite baie arrondie d'environ un quart de mille de diamètre envahie par une armada de bateaux de 15 mètres prêts à larguer leur skiff et leur filet au coup de canon à midi pile.
Ca vaut franchement le coup d'oeil: dans un bruit infernal de moteurs poussés à fond, une fumée noire s'échappe des cheminées et on entend des ordres hurlés et aussi quelques injures pour faute de priorité.
Le plus extraordinaire là dedans c'est de voir les premiers filets remonter, le fameux " money wallet", pleins à craquer. Le bateau gite sur tribord et parfois il n'est même pas question de remonter le filet au risque de cabaner: il faut se faire remorquer par le skiff jusqu'au tender qui viendra aspirer le tout dans ses cales frigorifiques en route pour la plus proche cannery.
Les images en disent plus qu'un discours!
SHUYAK ISLAND
Petite île tout au Nord de l'archipel, elle est séparée de l'île d'Afognak par un canal très étroit, le Shuyak Strait, siège de forts courants de marée.
C'est une terre basse, réserve intégrale, quasi inhabitée (4 résidents permanents) d'une grande beauté sauvage.
Nous avons mouillé par deux fois dans Big Bay dont une fois en septembre pour nous abriter d'une tempête. Le mouillage y est excellent.
C'est un des rares mouillages où nous nous sommes trouvés à deux bateaux. L'autre était un petit croiseur à moteur venu de Homer avec comme équipage une femme solide et ses deux chiens venus passer là un mois entier dans une nature parfaitement préservée. L'île est parcourue de sentiers pédestres entretenus et 4 petits bungalows permettent de s'abriter des éléments pour la nuit.
KODIAK : BATEAUX DE PÊCHE, PÊCHEURS ET POISSONS
Il est impossible à Kodiak d'ignorer le poisson et ce qui va avec.
Au cours de mon long séjour non seulement je me suis passionné pour la pêche mais j'ai passé des heures et des jours à admirer ces bateaux magnifiques et à bavarder avec leurs équipages.
Contrairement à Catherine Poulain et son "grand Marin", best seller de ces dernières années, je n'ai pas vu de drames sur les pontons ou les bateaux. J'ai d'ailleurs rencontré un nombre impressionnant de jeunes femmes qui, comme elle, embarquent pour la saison du saumon. Je les ai trouvé plutôt épanouies et heureuses de travailler.
Dire qu'il n'y a pas de mauvais garçons à Kodiak est évidemment un mensonge . L'alcool et la drogue font des ravages, comme ailleurs, mais je crois que dans l'ensemble ça se passe plutôt bien.
Ce qui m'a frappé c'est le côté familial de la pêche. Je pense que la très grande majorité des bateaux appartiennent à des familles. Il m'est arrivé de larguer les amarres d'un tender en route pour Bristol Bay en Juin: le grand père aux commandes, sa fille à la maneuvre avec ses deux petits enfants pour l'aider pendant leurs vacances.
Bien sûr il y a l'appât du gain et la pêche en Alaska est très lucrative.
Les bateaux sont assez souvent en alu ou en plastique mais il reste de nombreux navires en bois toujours très élégants et bien entretenus.
Dans le port de Kodiak il y a surtout des senneurs avec leurs immenses filets circulaires et leur skiff sur le tableau arrière en remorque. Leur taille est strictement réglementée de façon à limiter le volume des prises.
Mais il y a aussi des tenders qui sont souvent affreux car d'une largeur excessive pour augmenter leur volume sans toucher à la longueur elle aussi réglementée.
Ils sont équipés d'énormes aspirateurs à saumons car les senneurs remplissent leurs cales d'eau glacée où baignent leur récolte.
Dans le port il y a quelques chalutiers (trawlers), des crabbers avec leurs énormes casiers entassés sur le pont, des long liners (pêche eu rock fish et halibut) et des dragueurs de coquilles St Jacques, un produit local exceptionnel.
La pêche au saumon l'été à Kodiak ne présente pas de danger majeur car elle se pratique toujours dans des baies abritées et le plus souvent sur mer plate: en effet les saumons remontent en longeant les côtes vers la rivière dont ils sont issus.
Les autres pêches sont beaucoup plus risquées car elles se pratiquent au large. Particulièrement la pêche au King Crab qui se pratique l'hiver en Mer de Béring.
Merci à Fred ("carpe praedem") et à Joël pour m'avoir autorisé à reproduire certaines de leurs photos qui enrichissent beaucoup cet article consacré à Kodiak.
Benoît refoule une vague de saumons. Moi je pêche un peu comme les ours (ce qui est strictement interdit)
La pêche à Kodiak est souvent familiale et on trouve beaucoup de femmes à bord des bateaux de pêche. La mode se retrouve même dans la botte Xtratuf (obligatoire sur les catways!)