DE L'ANTARCTIQUE A L' ALASKA
Fort des mes découvertes des Mers du Sud, l'Alaska me paraissait à priori un peu fade....
Il faut dire que j'avais été fasciné par tant de récits passionnants sur la Patagonie, la Terre de Feu, le mythique Cap Horn, l'Antarctique, la Géorgie du Sud....
J'avais lu Slocum, Magellan, Coloane, Jean Raspail et son Roi de Patagonie.
J'avais rencontré en septembre 1973 à La Rochelle sur leur Damien 1 Jérôme Poncet et Gerard Janichon: "Damien" un petit voilier en bois revenu tout juste d'Antarctique après un tour du Monde d'anthologie. Leur épopée devenait un rêve pour moi. Eux devenaient mes idoles, détrônaient presque Moitessier dans mon imaginaire.
Il y a eu Jean Lescure et son Isatis dont je suivais le beau sillage au point d'avoir fait construire en 1982 Beachcomber un Méridien de 47' semblable au sien: dériveur en Aluminium paré pour la glace. J'étais presque prêt!
Mais mon premier vrai contact avec le Sud ce fut à bord de Kotick 1: Alain et Claudine Caradec m'ont embarqué à Puerto Madryn, en Patagonie Argentine, pour descendre leur bateau sur Ushuaïa. A leur bord j'ai lu "en Patagonie" de Bruce Chatwin et j'ai beaucoup appris sur le continent Austral et littéralement plongé dedans!
Les Caradec m'ont initié au Sud et à travers eux j'ai connu les lieux et les habitants de la Terre de Feu, les Canaux de Patagonie, les Glaciers de la Cordillière de Darwin.
J'ai eu enfin le courage de franchir le Cap Horn qui me faisait si peur.
Ils m'ont parlé de Sir Ernest Shackleton qui aura marqué depuis ma vie: je suis passé de James Cook à Sir Ernest, devenu pour moi le plus grand des héros.
Très peu de temps après ce tout premier contact j'avais fait construire Savannah chez Garcia et Rameau, un superbe côtre de 55' en aluminium dériveur intégral avec lequel j'ai pu enfin réaliser, moi skipper, tous les rêves qui me hantaient depuis si longtemps. Et qui entretenaient aussi ma peur!
Vaincre sa peur c'est aussi une aventure!
Le convoyage depuis La Rochelle m'a fait passer par le Cap Horn et les Canaux Chiliens, puis quittant Puerto Montt pour Nouméa c'était l'Île de Robinson Crusoe, l'Île de Pâques, les Gambiers et les Australes: de quoi passionner mes deux garçons qui m'accompagnèrent depuis Ushuaïa.
Terre de Feu. Le Micalvi. Les Frères de la Côte du Chili à Puerto Williams. Ushuaïa. Le travail des castors.Le baromètre en butée: dépression sur le Horn! Centollas.
Mais c'est un peu plus tard que j'ai vraiment poussé mes limites : traverser le Pacifique Sud depuis la Nouvelle Zélande jusqu'à Ushuaïa (les fameux quarantièmes rugissants et cinquantièmes hurlants si redoutés...).
Le Cap Horn fut vraiment à la hauteur de sa réputation : grand vent et grosse mer, surtout après l'avoir contourné quand il a fallu remonter au près vers le Canal de Beagle dans une mer très courte, très forte et plus de 50 noeuds de vent de Nord Ouest. Savannah sous trinquette seule bordée à plat et moteur nous a tiré vaillamment de ce mauvais pas.
Cette année là a été particulièrement bien remplie, nous voyant explorer toute la Terre de Feu dans ses recoins les plus sauvages, puis la Péninsule Antarctique souvent de conserve avec Alain Caradec, et en fin d'année 2000 l'Île des Etats, les Falklands et le joyau des joyaux pour un marin : la Georgie du Sud.
Nous y étions le seul voilier au milieu d'un écrin de toute beauté, immenses pics immaculés, glaciers gigantesques, icebergs, et puis surtout ces millions d'animaux, otaries, éléphants de mer, manchots de toutes sortes, albatros et pétrels géants... à ne plus savoir où donner de la tête. Parfois dangereux quand les femelles protégeant leur petit n'hésitent pas à attaquer.
Les stations baleinières sont désertées depuis les années 60 mais leurs ruines nous rappellent une époque révolue où des hommes jeunes courageux risquaient leur vie pour extraire de l'huile nécessaire à l'éclairage des villes et villages du monde entier. Sur les tombes des noms norvégiens, l'âge moyen sans doute 25 ans...
On comprend la fascination qu'éprouvait Shackleton pour la Géorgie du Sud, port de départ pour son immense exploit et sa dernière demeure. Combien de fois avons nous médité sur sa tombe, la seule orientée vers le Sud, vers ce Pôle qu'il n'a jamais atteint...
Mes pensées souvent m'emportent vers ces contrées hostiles, mais si riches, si belles, si pleines d'aventures humaines magnifiques mais aussi de drames.
Jean Lescure toutefois m'avait mis la puce à l'oreille: il était à Nouméa chez nous vers la fin des années 80. Isatis était dans le port arrivant tout juste de Guam et du Japon. Jean venait de faire une magnifique croisière, remontant depuis Seattle vers l'Alaska et les Aléoutiennes. Lui qui connaissait le Sud comme sa poche, ne tarissait pas d'éloges sur l'Alaska. J'en étais surpris car je pensais que rien ne pouvait rivaliser avec tant de beautés.
Et bien Jean m'a confié que, si, c'était possible. Et m'a fortement encouragé à aller y promener la quille de mon bateau!
Des années plus tard je l'ai écouté et ma première découverte fut en 1994 à bord de Shinta Manis, le trawler de mes amis Leroux, entre Seattle et Lituya Bay. Une révélation en effet.
Depuis j'y suis retourné 5 fois et ne m'en lasse pas!
Aujourd'hui Jade est à l'abri dans la région de Vancouver après 18 mois passés entre les Aléoutiennes, un long séjour à Kodiak et une inoubliable descente par l'Inside Passage.
Les paysages sont somptueux. Les mouillages, confortables et rassurants, par centaines, les animaux sauvages se laissent admirer et approcher facilement. La pêche y est miraculeuse l'été, bref, une sorte de paradis!
Et puis il faut bien reconnaître que, prenant de l'âge, on apprécie la navigation simple et presque toujours abritée des coups de vents et de la houle du large.
Moins sportif que le Sud, d'accord avec vous, mais si on se soucie vraiment de sa forme physique, de longues marches vous attendent en prenant garde aux ours!!!
L'an prochain en 2019 on y retournera!